
Spinoza et la littérature chrétienne française : de l’hérésie au dialogue secret
INTRODUCTION
Parmi les philosophes modernes, rares sont ceux qui ont suscité une telle ambivalence dans la tradition chrétienne que Baruch Spinoza. Excommunié par sa propre communauté en 1656, rapidement étiqueté comme « athée » par ses contemporains européens, il fut, dès la fin du XVIIᵉ siècle, l’objet d’un véritable interdit culturel. Ses ouvrages, interdits par l’Index, circulaient néanmoins sous le manteau, auréolés d’une réputation sulfureuse. Aux yeux des théologiens et des écrivains chrétiens français, le nom de Spinoza devint longtemps synonyme d’hérésie radicale, d’une philosophie où Dieu se confond avec la nature et où la transcendance s’efface dans l’immanence, et dont Bayle fera, dans son Dictionnaire historique et critique, « le modèle de l’athée vertueux »[1]. Dans le sillage, des auteurs comme François Lamy (1696) le qualifient d’« illusion » et d’« erreur importante » (▶ F.Lamy, Nouvelles réflexions sur l’athéisme), et Bossuet lui-même, comme le rappelle Paul Hazard, s’est senti « hanté » par la figure du spinozisme (▶ P.Hazard, La Crise de la conscience européenne, 1935). Et pourtant, c’est bien ce même Spinoza qui, à force d’être dénoncé, a fini par hanter de l’intérieur la littérature chrétienne français e. Car si la condamnation fut unanime, l’influence, elle, se révéla souterraine, insidieuse, parfois inconsciente.
Il ne s’agit donc pas d’affirmer que Chateaubriand, Lamartine, Claudel ou Bernanos n’aient jamais revendiqué une filiation directe. Mais chacun, à sa manière, a dû se confronter à ce défi : comment écrire la foi dans un monde que Spinoza décrivait comme intégralement régi par la nécessité, sans espace pour la providence, le miracle ou le libre arbitre ?
Là se joue le paradoxe que je voudrais interroger : Spinoza, figure de l’hérétique absolu dans une période d’orthodoxies, a contraint la littérature chrétienne française à se définir en miroir. En le réfutant, elle l’a intégré. En le rejetant, elle s’est laissé travailler par ses intuitions. Les sermons polémiques, les traités apologétiques, mais aussi les grandes œuvres poétiques et romanesques chrétiennes se révèlent marquées par cette présence spectrale. Il est possible, à ce titre, de lire l’histoire de la littérature chrétienne française comme une longue négociation avec le spinozisme : négociation d’abord dans la condamnation, puis dans la fascination inquiète, enfin dans un dialogue secret où la frontière entre transcendance et immanence devient on ne peut plus poreuse. Chateaubriand, par exemple, revendique dans le Génie du christianisme (1802) la restauration du sacré « parmi les ruines de nos temples » après la Révolution, tout en laissant affleurer une tentation panthéiste proche des débats sur le spinozisme. Plus tard, Claudel, sans céder à l’immanence, écrira que « l’homme a été mis par Dieu au milieu de la nature pour l’achever et la lui offrir » (▶ P. Claudel Réflexions et propositions sur le vers français, 1925), formule qui semble dialoguer indirectement avec l’idée d’une puissance divine immanente au monde. Quant à Bernanos, dans ses Dialogues des Carmélites (1949), il affirme que « on ne reçoit jamais rien que de Dieu », affirmant ainsi une transcendance qui se confronte à la tentation spinoziste d’identifier le divin au réel lui-même.
Je soutiens ici une hypothèse personnelle : ce n’est pas malgré Spinoza mais grâce à lui que la littérature chrétienne française a pu se réinventer. Loin d’être une simple force de dissolution, le spinozisme a fonctionné comme une épreuve critique. Il a obligé les écrivains croyants à redéfinir leur rapport au monde, à reformuler l’expérience de la foi non plus contre la raison mais à l’intérieur d’un univers pensé comme nécessaire. De Bossuet à Claudel, le christianisme littéraire français ne cesse de croiser le fantôme de Spinoza, et c’est dans ce dialogue conflictuel qu’il trouve, paradoxalement, une part de sa vitalité moderne.
Partie I. SPINOZA COMME ADVERSAIRE CONSTITUTIF DE LA LITTÉRATURE APOLOGÉTIQUE La réception française de Spinoza, aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, fut d’abord négative, voire violemment hostile. Pour la littérature chrétienne, Spinoza ne se présente pas comme un modèle possible, mais comme une menace permanente, un adversaire dont il faut se défendre, parfois même au prix d’une simplification outrancière ou d’une déformation de sa pensée. L’Éthique, avec son architecture géométrique, sa réduction de Dieu à la Nature et son refus explicite de la providence, apparaissait comme l’anti-théologie par excellence (du moins, dans la représentation que s’en donnaient ses adversaires), la tentative la plus cohérente pour abolir la transcendance. Aux yeux des apologistes français, ce système ne relevait pas seulement d’une spéculation intellectuelle dangereuse : il constituait un péril spirituel, susceptible d’ébranler les fidèles et de saper l’autorité de l’Église. |
Ainsi, dès que le nom de Spinoza commence à circuler, il est frappé d’une aura d’hérésie. On parle moins du contenu exact de ses propositions que de leur retentissement symbolique : Spinoza devient un nom qui condense toutes les menaces de l’irréligion moderne, un « athée » dont l’influence sourde menace les fondements de l’ordre chrétien. Ce statut explique que la littérature chrétienne de l’époque ne se contente pas de le réfuter ; elle construit en grande partie ses propres arguments dans l’ombre de ce repoussoir. On pourrait dire que le spinozisme, en France, fonctionne d’abord comme un spectre, un fantôme intellectuel autour duquel s’organise le discours apologétique.
Il n’est donc pas exagéré d’affirmer qu’une partie de la prose chrétienne (sermons, catéchèses, traités, mais aussi œuvres de controverse) s’élabore en miroir du spinozisme. Bossuet, Malebranche, les jansénistes, et même certains auteurs mineurs, définissent leur théologie en réponse implicite à ce système qu’ils jugent dissolvant. Ils s’emploient à réaffirmer la distinction radicale entre Créateur et création, à défendre la providence et le miracle, à restaurer la liberté humaine mise en doute par la nécessité universelle. Leur littérature se nourrit de cette opposition, et c’est ce qui confère au spinozisme une place paradoxale : s’il n’est jamais accepté comme héritage, il devient malgré tout un moteur souterrain de la pensée chrétienne française, en provoquant ses défenses et en stimulant son inventivité.
Du scandale hollandais à l’Index romain
Dès la fin du XVIIᵉ siècle, les autorités ecclésiastiques condamnent explicitement les écrits de Spinoza. Ses Opera posthuma (1677), publiés peu après sa mort, ainsi que le Tractatus theologico-politicus (1670), avaient déjà provoqué scandale en Hollande. En 1678, les États de Hollande et de West-Frise décrétèrent que ces ouvrages étaient « profanes, athées et blasphématoires »[2], interdisant qu’ils soient lus, imprimés ou diffusés sur leur territoire. Cette condamnation civile fut relayée par la sanction ecclésiastique : dès 1679, le Tractatus et les Opera posthuma furent inscrits sur l’Index librorum prohibitorum de l’Église catholique[3], les catalogues officiels de l’Inquisition les rangeant parmi les lectures les plus dangereuses pour la foi.
Le « spinozisme » comme étiquette polémique en France
À partir de ce moment, en France, le nom même de Spinoza devint suspect, résumant à lui seul le péril de l’impiété moderne. Comme le souligne Jonathan Israel, « la diffusion clandestine du spinozisme suscita un climat de peur théologique et politique : le mot spinoziste servait d’épouvantail pour dénoncer tout adversaire »[4]. On assiste alors à une sorte de cristallisation du terme : le « spinozisme » n’est pas seulement l’ensemble des thèses de l’Éthique, mais une étiquette polémique, une arme rhétorique utilisée pour discréditer un auteur ou un courant.
Cette assimilation se retrouve chez les polémistes français. Dans son Dictionnaire historique et critique (1697), Bayle note : « On a accusé Spinoza d’avoir été athée ; mais c’est une question fort disputée »[5]. L’ambivalence de Bayle est frappante : il refuse de simplifier Spinoza à un nihilisme pur et dur, mais en le présentant comme « l’exemple du philosophe athée vertueux », il confirme malgré lui le caractère explosif de ce nom. Dans l’espace littéraire chrétien, le spinozisme devient donc un repoussoir commode : accuser un auteur d’y être lié, c’est le condamner à l’infamie intellectuelle.
François Lamy, oratorien, en donne un bon exemple dans ses Nouvelles réflexions sur l’athéisme (1696). Il qualifie la démonstration de Spinoza sur la nécessité de la substance d’« illusion » et d’« une des plus grandes erreurs de Spinoza »[6]. Ce type de formulation révèle moins une lecture approfondie de l’Éthique qu’un geste polémique : il s’agit de montrer que toute tentative de naturaliser Dieu ou de réduire le miracle à une loi de la nature relève d’un danger mortel pour la foi chrétienne.
En ce sens, le nom de Spinoza, en France, devient au tournant du XVIIIᵉ siècle une sorte de mot-symbole. Comme le dira plus tard Paul Hazard, « Spinoza a hanté l’esprit de Bossuet »[7] : même sans le citer directement, même sans l’analyser systématiquement, l’évêque de Meaux et d’autres orateurs sacrés construisent leurs sermons et leurs traités contre l’ombre d’un système qui menaçait de réduire le christianisme à une illusion anthropologique.
Ainsi, la condamnation ecclésiastique et civile ne mit pas fin à la circulation des idées spinozistes : au contraire, elle contribua à forger une légende noire, une image qui pesa durablement sur la littérature chrétienne française. Le « spinozisme » devient une arme de combat polémique, un repoussoir rhétorique et théologique, à partir duquel l’apologétique chrétienne du XVIIIᵉ siècle élabora son propre discours.
Bayle et la cristallisation de l’« athée vertueux »
Cette cristallisation se retrouve avec une intensité particulière dans l’immense entreprise critique de Pierre Bayle, comme je l’avais déjà évoqué en introduction. L’art. « Spinoza » de son Dictionnaire historique et critique (1697) demeure l’un des textes fondateurs de la réception française du spinozisme. Bayle y déploie un portrait paradoxal, qui frappe par son ambivalence : il admet que Spinoza « sera toujours l’exemple du philosophe athée vertueux »[8]. Cette formule est décisive à plus d’un titre. Elle installe dans l’imaginaire chrétien français l’idée d’un athéisme d’autant plus redoutable qu’il se pare de vertus morales, et qu’il peut donc séduire les esprits par l’exemplarité d’une vie irréprochable.
La stratégie baylienne est complexe. D’un côté, il s’agit bien d’une réfutation : Bayle souligne les apories de l’Éthique, insiste sur la négation de la providence, et rappelle que l’assimilation de Dieu à la Nature ne saurait s’accorder avec la foi chrétienne. Mais de l’autre, il ne peut s’empêcher d’accorder à Spinoza une place singulière, en montrant que sa conduite privée n’avait rien de scandaleux. Ce contraste entre la rigueur morale et l’athéisme supposé devient le nœud du problème : comment admettre qu’un homme privé de la grâce puisse néanmoins vivre selon la vertu ? Bayle pose ainsi la question de savoir si la morale a nécessairement besoin de la religion — question explosive pour l’apologétique chrétienne de son temps.
Comme l’a bien montré Antony McKenna, « Bayle ne cherche pas tant à juger Spinoza qu’à montrer le scandale d’une vertu séparée de la religion »[9]. L’apologétique chrétienne se trouve ici déstabilisée : si la vertu peut subsister sans la foi, alors la religion perd son rôle d’unique garante de la vie morale. Bayle ne partage pas cette conclusion, mais en la formulant, il donne à la pensée spinoziste une visibilité inédite. L’effet est double : en dénonçant Spinoza, il l’inscrit au cœur de la République des lettres ; en le condamnant comme « athée vertueux », il contribue à façonner la légende noire d’un philosophe dont le danger tient précisément à la cohérence morale.
C’est pourquoi le Dictionnaire de Bayle occupe une place centrale dans la littérature chrétienne française : il est à la fois un arsenal apologétique et un foyer de diffusion des idées qu’il prétend combattre. En cherchant à contenir Spinoza, il l’introduit dans le débat public, offrant ainsi aux écrivains et aux théologiens un adversaire intellectuel que chacun, à sa manière, devra désormais affronter.
Bossuet face au spectre de l’athéisme
Quant à Bossuet, il ne cite que rarement Spinoza par son nom : le silence apparent est en réalité une stratégie. Comme beaucoup de polémistes chrétiens de son temps, il craint de donner crédit ou pu blicité à une doctrine jugée pernicieuse. Mais dans ses grands ouvrages — le Discours sur l’histoire universelle (1681), les Élévations sur les mystères (1670), ou encore les Oraisons funèbres — on décèle sans peine les cibles implicites : l’athéisme moderne, le panthéisme latent, la dissolution de la théologie dans une rationalité qui prétend expliquer le tout de la nature.
Le combat de Bossuet se concentre en effet sur les conséquences que l’on pouvait attribuer au spinozisme. Ce qu’il redoute, ce n’est pas seulement une hérésie parmi d’autres, mais une subversion radicale : l’idée que Dieu ne serait rien d’autre que la totalité des choses, que la transcendance s’efface dans l’immanence, et que la liberté humaine n’est qu’une illusion. Dans une Lettre pastorale sur le quiétisme (1697), il s’en prend ainsi à « ceux qui confondent Dieu avec sa créature, et qui abolissent la distance infinie qui sépare l’Être incréé de l’être créé »[10]. On peut lire ici une allusion indirecte au spinozisme, puisque l’identification de Dieu à la substance u nique est précisément ce que l’Éthique propose dans sa définition de Deus sive Natura.
En se dressant contre ces périls, Bossuet construit une littérature religieuse où l’homélie se fait rempart. Sa rhétorique insiste sur l’ordre providentiel, la liberté comme participation à la grâce, et la transcendance absolue de Dieu. La vigueur de son éloquence tient autant à son talent oratoire qu’à l’urgence d’une lutte intellectuelle. Car il ne s’agit pas seulement de convaincre les fidèles, mais de conjurer une menace : la dissolution de la théologie chrétienne dans une philosophie qui naturalise le divin.
L’on comprend alors sans mal en quel sens Spinoza fut pour Bossuet un adversaire constitutif. Même absent, il donne son relief à la défense apologétique : c’est en se plaçant face à l’ombre du spinozisme que l’évêque de Meaux déploie toute la puissance de sa rhétorique. La littérature religieuse de Bossuet se lit ainsi comme une réponse indirecte, mais constante, à cette philosophie qu’il jugeait capable de miner les fondements de la foi.
« L’Autre » radical
Ainsi, dans ce premier moment de la réception, Spinoza n’est jamais directement intégré : il est un « autre » radical, l’hérétique par excellence. Mais c’est précisément ce statut d’adversaire qui le rend structurant. En définissant leur littérature contre lui, les écrivains chrétiens français lui font paradoxalement une place : la figure du philosophe banni devient l’axe invisible autour duquel se resserre l’argument apologétique.
Cette dynamique tient à une logique classique des controverses religieuses : l’ennemi est nécessaire pour affirmer sa propre identité. Comme l’a noté Paul Hazard, « le spectre de Spinoza se tenait derrière tous les débats de la fin du XVIIᵉ siècle »[11]. Même absent des textes, il y agit comme un foyer de hantise, une référence obsédante que les auteurs refusent de nommer mais à laquelle ils répondent sans cesse. L’apologétique française ne se construit donc pas en dehors de Spinoza, mais en négociation permanente avec l’image qu’on se fait de lui.
Il est significatif que l’on ait rarement lu Spinoza directement : ses œuvres, difficiles d’accès et condamnées, circulaient sous le manteau, souvent par fragments ou par résumés. Ce que connaissaient la plupart des polémistes chrétiens n’était pas tant l’Éthique elle-même que des reflets : les comptes rendus, les attaques, les réfutations. Comme le souligne Jonathan Israel, « le spinozisme devint rapidement un mot-épouvantail, servant à disqualifier des positions très diverses, qu’elles aient ou non un rapport réel avec Spinoza »[12]. En d’autres termes, Spinoza devint moins un auteur qu’un symbole, l’incarnation commode de l’athéisme et du panthéisme modernes.
De ce fait, l’apologétique chrétienne s’est développée dans une posture défensive qui doit beaucoup au « fantôme » spinoziste. Bossuet, Bayle, Lamy, mais aussi des auteurs mineurs, trouvent dans la réfutation de l’immanence radicale un ressort rhétorique et théologique puissant. En défendant la distinction du Créateur et de la créature, la liberté humaine, la providence et la grâce, ils répondent à une menace qui, sans être toujours lue, demeure constamment évoquée. Ainsi se met en place une dialectique singulière : le christianisme littéraire français s’affermit en réagissant à un adversaire invisible, et c’est cette opposition constitutive qui confère à Spinoza un rôle central malgré lui.
Partie II. LE XIXe SIÈCLE : DE LA MÉFIANCE À LA FASCINATION
Chateaubriand et la réponse apologétique du Génie du Christianisme
Au lendemain de la Révolution, Chateaubriand entreprend de restaurer la grandeur du christianisme face aux « philosophies destructrices » du siècle précédent. Lui qui avait connu la désacralisation des églises et la profanation des autels veut, dans le Génie du christianisme (1802), réenchanter la religion en lui redonnant son prestige esthétique, moral et politique. L’ouvrage s’inscrit dans un contexte de réaction intellectuelle contre l’athéisme jacobin, mais aussi contre l’héritage plus ancien des Lumières. Dès la préface, l’auteur revendique explicitement un projet apologétique : « Ce fut au milieu des ruines de nos temples que je publiai Le Génie du christianisme »[13].
L’ennemi visé n’est pas seulement l’athéisme militant de la Révolution, mais l’ensemble d’une tradition rationaliste qui, de Spinoza – identifié au panthéisme – à Voltaire[14], avait contribué à miner conséquemment le fondement transcendant de la foi. Certes, Chateaubriand ne cite pas Spinoza abondamment, mais son nom, associé au panthéisme, plane derrière certaines pages. Le Génie du christianisme cherche à réaffirmer ce que l’Éthique avait récusé ou rendu caduc : la séparation radicale du Créateur et de la création, l’intervention providentielle dans l’histoire, et la possibilité du miracle. En ce sens, Chateaubriand apparaît comme un héritier lointain de la tradition apologétique du XVIIᵉ siècle (comme Bossuet, Pascal – même si Pascal, en particulier, s’oppose plus à l’athéisme libertin et au scepticisme) qui avaient combattu ce qu’ils percevaient comme la dissolution de la théologie dans l’immanence.
Mais le paradoxe est ailleurs : dans son lyrisme sur la Nature, Chateaubriand frôle parfois les accents panthéistes. Son regard sur les paysages, sur le sublime des forêts, des mers ou des ruines antiques, confère à la création une dimension quasi sacramentelle. La Création y devient manifestation immédiate du divin, ce qui n’est pas sans rappeler la formule spinoziste Deus sive Natura (« Dieu, autrement dit la Nature »)[15]. Ainsi, lorsqu’il décrit la beauté de la nature américaine dans Atala, ou lorsqu’il célèbre dans le Génie la poésie chrétienne qui sait reconnaître Dieu dans « les moindres fleurs des champs »[16], il participe d’une sensibilité où l’immanence semble l’emporter sur la transcendance.
S’il s’efforce toujours de maintenir la distinction dogmatique entre Dieu et le monde, la ferveur cosmique et presque holistique de son style ouvre une ambiguïté féconde. Car cette vision d’un Dieu qui se laisse deviner dans chaque fragment de la nature pourrait être lue comme une variante chrétienne de l’immanence spinoziste. Plusieurs critiques, de Paul Bénichou à Philippe Sellier, ont souligné le risque panthéiste de cette apologétique fondée sur le sublime de la nature. Ce dernier évoque ainsi « le lyrisme de Chateaubriand, en exaltant la nature comme miroir du divin, fait courir à son apologétique le risque d’une séduction panthéiste »[17]. Cette ambiguïté est peut-être la marque la plus profonde de l’influence indirecte du spinozisme : même rejeté comme doctrine, il travaille l’écriture chrétienne en y introduisant une tension entre transcendance affirmée et immanence suggérée. Affinités involontaires ou non, il s’agit à tout le moins de « résonances » panthéistes qui laissent planer le spectre de Spinoza dans l’écriture de Chateaubriand.
La tentation panthéiste dans la poésie chrétienne de Lamartine
Chez Lamartine, la proximité devient plus nette encore. Les Méditations poétiques (1820), qui inaugurent véritablement le romantisme lyrique français, témoignent d’un christianisme sentimental et profondément intériorisé. La foi y est moins une adhésion dogmatique qu’une expérience vécue, intime, où la prière se confond avec l’élan du cœur et où la contemplation de la nature devient l’accès privilégié au divin. Mais ce christianisme, en se tournant vers la Nature comme médiation essentielle, s’imprègne d’une sensibilité quasi spinoziste : le monde naturel cesse d’être simple décor ou « créature » au sens strict, il devient révélation immédiate de Dieu, espace où l’homme perçoit l’unité de l’être.
Dans le poème L’Immortalité, Lamartine formule cette intuition en termes saisissants :
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme,
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »[18]
Ces vers célèbres traduisent une interpénétration du vivant et de l’inanimé, une porosité des règnes qui dépasse la conception traditionnelle de la création. Ils expriment une immanence du divin dans les choses, comme si la nature entière vibrait d’une présence invisible, accessible par la sympathie et le sentiment. Or cette vision du monde rejoint, par analogie, certaines intuitions spinozistes : l’idée que tout être est une modalité d’une substance unique, que chaque chose participe de la puissance infinie de la Nature.
Certes, Lamartine ne se réclame jamais de Spinoza, et il demeure attaché au Dieu du christianisme. Mais son lyrisme cosmique, son aspiration à saisir l’unité secrète du monde, l’orientent vers un horizon où la transcendance s’efface dans la Nature. On le constate également dans Le Vallon, où il invoque la « voix des bois » et la « plainte des vents » comme autant de révélations spirituelle[19]. La prière se fait contemplation de l’univers, et l’expérience religieuse se déploie à travers une communion panthéisante avec le cosmos.
Plusieurs critiques ont souligné cette ambiguïté : d’un côté, Lamartine restaure un langage chrétien dans une société marquée par la sécularisation ; de l’autre, il introduit dans la littérature religieuse française une tonalité cosmique qui la rapproche d’un imaginaire panthéiste[20]. Le christianisme lamartinien n’est donc pas seulement défensif : il est travaillé de l’intérieur par cette tentation d’immanence. C’est là que réside, peut-être, l’écho le plus sensible de Spinoza dans la poésie chrétienne du XIXᵉ siècle : non pas une influence revendiquée, mais une affinité élective, née d’un climat intellectuel où le spinozisme, fût-ce à travers ses caricatures ou ses réceptions indirectes, demeurait présent comme soubassement implicite.
Lamennais : de l’apologétique au vertige de l’immanence
La figure la plus révélatrice de ce siècle est peut-être celle de Félicité de Lamennais. Prêtre catholique et polémiste ardent, il débute sa carrière comme un défenseur intransigeant de l’orthodoxie. Dans son œuvre Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817-1823), il s’élève avec une vigueur polémique contre ce qu’il perçoit comme la menace majeure de son temps : l’indifférentisme religieux, le relativisme philosophique et l’athéisme. Le jeune Lamennais s’inscrit ainsi dans la tradition apologétique classique, reprenant à son compte les arguments hérités de Bossuet et des controversistes du XVIIᵉ siècle : défense de la transcendance divine, affirmation de l’autorité de l’Église, dénonciation du panthéisme comme dissolution de la foi[21].
Mais l’originalité de Lamennais tient à l’évolution radicale de sa pensée. À mesure que sa réflexion se nourrit du contact avec les réalités sociales et politiques de la Restauration, il se détourne d’une apologétique défensive pour promouvoir un catholicisme réconcilié avec les aspirations du peuple. Les Paroles d’un croyant (1834) marquent ce tournant. Ce petit livre en prose poétique, destiné à un large public, fait entendre une voix qui n’est plus celle de l’institution ecclésiale, mais celle d’un prophète populaire. Dieu ne se manifeste plus seulement dans la hiérarchie ecclésiale ni dans les sacrements, mais dans l’histoire elle-même, dans le cri des opprimés, dans la marche des nations vers la justice : « Peuples ! Dieu vous a créés pour être libres »[22].
Ce déplacement vers une conception plus immanente du divin a suscité un immense enthousiasme dans les milieux démocratiques et révolutionnaires, mais aussi une condamnation rapide de la papauté. L’encyclique Singulari nos de Grégoire XVI (1834) condamne le livre comme « petit, mais plein de fiel »[23], dénonçant dans cette vision de Dieu présent dans le peuple une menace pour l’autorité spirituelle de l’Église. Le catholicisme social promu par Lamennais s’inscrit en effet dans un climat intellectuel où le spinozisme agit comme une tentation diffuse : repenser la transcendance non plus comme extériorité absolue, mais à partir du monde lui-même, de l’histoire, de la communauté humaine.
Bien sûr, Lamennais n’a jamais revendiqué une filiation avec Spinoza — dont il dénonçait au contraire explicitement le panthéisme dans sa période apologétique. Mais le paradoxe est le même que chez Chateaubriand et Lamartine : en voulant réinscrire Dieu dans le tissu du monde et dans la dynamique des peuples, il adopte une posture où l’immanence l’emporte sur la transcendance. Son parcours illustre ce vertige : celui d’une pensée chrétienne qui, en cherchant à se réinventer face à la modernité, se trouve attirée vers l’horizon spinoziste qu’elle voulait d’abord combattre.
Un climat de fascination inquiète
Chateaubriand, Lamartine, Lamennais : trois figures, trois registres, mais une même tension. Tous se veulent défenseurs du christianisme, et tous, par leur insistance sur la Nature, l’unité du réel ou la voix de l’humanité, semblent répondre indirectement à Spinoza. Chez Chateaubriand, c’est le sublime naturel qui, malgré son intention apologétique, ouvre à une vision cosmique du divin proche de l’immanence. Chez Lamartine, c’est le lyrisme poétique qui confère à l’univers une âme et fait résonner le souffle du divin dans les choses. Chez Lamennais enfin, c’est l’histoire elle-même qui devient le lieu de la révélation, l’espace où Dieu se manifeste à travers le peuple et sa marche vers la liberté. Trois registres, donc — apologétique, poétique, prophétique — mais une même ambiguïté : la transcendance s’affirme en même temps qu’elle se laisse contaminer par l’immanence.
Le XIXᵉ siècle chrétien français illustre ainsi une mutation capitale. Spinoza n’est plus seulement l’ennemi extérieur, l’hérétique radical dont il fallait réfuter chaque ligne : il devient l’interlocuteur secret, l’ombre à laquelle on se mesure et qu’on intègre malgré soi. Comme l’a montré Paul Bénichou, le romantisme religieux est travaillé par une « tentation panthéiste », qui ne conduit pas nécessairement à l’abandon de la foi, mais qui la reformule en termes plus cosmiques et plus intérieurs. Dans ce climat intellectuel, l’écrivain chrétien ne cite pas Spinoza, mais il écrit contre et avec lui, hanté par la possibilité d’une religion de la Nature qui viendrait supplanter la théologie de la transcendance.
Ce qui se joue alors est une dialectique nouvelle : le spinozisme n’apparaît plus comme une doctrine à réfuter point par point, mais comme une atmosphère, un horizon de pensée diffus. L’écrivain chrétien du XIXᵉ siècle vit cette tension comme une inquiétude féconde. La hantise du panthéisme, loin de détruire l’imaginaire chrétien, le stimule : elle oblige les auteurs à réinventer leur langage religieux, à l’élargir jusqu’aux limites de l’immanence. Le christianisme romantique se construit ainsi dans cette oscillation : proclamer la transcendance, mais toujours en flirtant avec une vision du monde où Dieu se confond avec le Tout.
Partie III. LE XXe SIÈCLE : UN SPINOZA INTÉRIEUR
Le XXᵉ siècle marque un troisième moment dans la réception chrétienne de Spinoza en France. Après l’époque des réfutations virulentes (XVIIᵉ-XVIIIᵉ) et celle de la fascination inquiète (XIXᵉ), vient le temps d’un dialogue plus intérieur, plus discret, mais non moins décisif. Spinoza ne fait plus figure d’hérétique à dénoncer : il devient une hypothèse de pensée, un horizon latent, avec lequel la littérature chrétienne doit désormais composer.
Cette transformation tient à plusieurs évolutions majeures. D’abord, l’entrée du christianisme dans une modernité où la transcendance n’est plus évidente : la crise de la foi, le silence de Dieu face aux guerres, l’effritement des certitudes dogmatiques conduisent les écrivains chrétiens à se confronter à la possibilité d’un monde sans providence. Ensuite, la redécouverte philosophique de Spinoza — grâce notamment aux travaux de Bergson, puis de Deleuze — installe sa pensée au cœur de la culture française du XXᵉ siècle, non plus comme un scandale marginal, mais comme une ressource intellectuelle majeure.
Dans ce contexte, la littérature chrétienne n’intègre pas Spinoza directement : elle n’en cite pas les formules, elle ne revendique pas sa doctrine. Mais elle en assume l’épreuve. Face à une pensée qui identifie Dieu à la Nature et récuse le libre arbitre, Claudel et Bernanos — deux des grandes voix chrétiennes du siècle — sont contraints de reformuler leur expérience religieuse : l’un en inscrivant la transcendance dans le rythme cosmique du monde, l’autre en affirmant la grâce dans un univers qui semble se passer de Dieu. Tous deux témoignent de ce paradoxe : la littérature chrétienne du XXᵉ siècle ne vit plus contre Spinoza, elle vit avec son ombre.
Claudel et la tentation cosmique
La confrontation entre christianisme et spinozisme, au XXᵉ siècle, trouve une expression singulière dans l’œuvre de Paul Claudel. Poète, dramaturge et diplomate, Claudel incarne une voix profondément chrétienne, tournée vers l’absolu, la liturgie et la transcendance. Converti le 25 décembre 1886 lors d’une illumination devant le Magnificat à Notre-Dame de Paris, il demeura jusqu’à sa mort l’un des plus grands apologètes poétiques du catholicisme français. Ses écrits, de Connaissance de l’Est (1900) au Soulier de satin (1929), s’emploient à restituer au monde son sens sacramentel, en faisant de chaque chose une épiphanie de la présence divine[24].
Et pourtant, malgré cette orientation clairement chrétienne, l’écriture claudélienne trahit par moments une affinité inquiétante avec le lyrisme cosmique qui caractérise les réceptions modernes de Spinoza. Comme Spinoza, Claudel accorde au cosmos une dignité ontologique radicale : il voit dans l’univers un déploiement incessant de vie, un dynamisme qui dépasse les catégories classiques de la théologie naturelle. Son poème « Magnificat », dans les Cinq grandes odes (1910), fait résonner ce souffle cosmique : « Tout l’univers chante et respire en Dieu comme dans une bouche immense »[25]. Le lecteur chrétien y reconnaît une hymne d’adoration ; mais l’analyste peut y entendre un écho spinoziste, dans la mesure où le monde est décrit comme vivant d éjà en Dieu, vibrant de son souffle, animé d’une énergie totale.
Cette proximité paradoxale a frappé la critique. Olivier Millet a noté que la poésie claudélienne « résonne avec la tentation panthéiste, qu’elle exorcise tout en l’intégrant »[26]. Claudel n’adhère jamais au Deus sive Natura de Spinoza, mais son lyrisme de la nature comme lieu de révélation immédiate fait courir le risque d’une confusion entre Dieu et le monde. Ce risque, Claudel en a conscience : dans Positions et propositions (1928), il dénonce avec vigueur le panthéisme, « éternelle tentation de l’esprit humain »[27]. Mais précisément, ce geste de dénonciation confirme la hantise : le poète chrétien écrit en dialogue avec l’ombre du spinozisme, qu’il rejette tout en le frôlant.
Ainsi, Claudel offre l’exemple d’une littérature chrétienne moderne travaillée de l’intérieur par la tentation de l’immanence. En exaltant le monde comme espace liturgique, il rejoint involontairement une intuition spinoziste : celle d’une divinité partout présente, qui se donne dans le réel lui-même. La différence reste fondamentale — Claudel maintient la transcendance et la finalité théologique, quand Spinoza identifie Dieu à la nécessité de la substance —, mais le rapprochement n’en demeure pas moins révélateur. Dans son écriture, la confrontation avec Spinoza ne prend pas la forme d’une réfutation doctrinale, mais d’un combat poétique, où l’élan vers l’absolu doit sans cesse éviter de se dissoudre dans l’immanence cosmique.
Claudel récuse explicitement le panthéisme, qu’il considère comme une réduction inacceptable du mystère divin. Il affirme sans ambiguïté : « Le panthéisme est l’éternelle tentation de l’esprit humain, mais il n’est qu’une idolâtrie du Tout »[28]. Cette dénonciation le place dans la continuité des apologistes classiques, de Bossuet à François Lamy, qui voyaient en Spinoza le danger majeur d’une confusion entre Créateur et création. Mais là où ses prédécesseurs combattaient une doctrine philosophique, Claudel affronte aussi l’héritage d’un romantisme religieux qui avait exalté la Nature jusqu’à la confondre avec le divin.
En cela, Claudel se place dans la continuité des grands polémistes du XVIIᵉ siècle, pour qui Spinoza incarnait précisément ce danger. Bossuet dénonçait déjà « ceux qui confondent Dieu avec sa créature, et qui abolissent la distance infinie qui sépare l’Être incréé de l’être créé »[29], tandis que François Lamy qualifiait la réduction spinoziste à une substance unique d’« illusion »[30]. Claudel hérite de ce climat intellectuel, mais il le transpose dans une modernité où la tentation panthéiste ne vient plus seulement des systèmes philosophiques, mais aussi d’un romantisme religieux qui avait exalté la Nature jusqu’à la confondre avec le divin.
Cette actualisation est décisive. Pour Claudel, rejeter le panthéisme, c’est non seulement se démarquer de Spinoza, mais aussi éviter de sombrer dans les séductions romantiques héritées de Chateaubriand et Lamartine. Son œuvre se situe donc à un carrefour : d’un côté, elle reprend la vigilance des apologistes classiques ; de l’autre, elle répond aux ambiguïtés du XIXᵉ siècle, où l’imaginaire chrétien avait été travaillé par une tentation cosmique. Cela revient en d’autres termes à sauver la distinction essentielle entre Créateur et création, tout en continuant d’accorder à la nature une place centrale dans l’expérience spirituelle.
Mais ce refus théologique n’empêche pas la proximité poétique. Dans ses Cinq grandes odes (1910), Claudel élève la contemplation de la nature au rang de liturgie cosmique : la mer, le vent, les étoiles deviennent autant de signes par lesquels Dieu se manifeste. Cette vision d’un univers qui respire et chante en Dieu n’est pas spinoziste en elle-même, puisqu’elle suppose un Dieu transcendant et créateur. Mais elle exprime une intensité immanente du divin dans les choses, un dynamisme qui n’est pas sans rappeler l’idée spinoziste d’une puissance infinie se déployant dans tous les modes de la substance.
La réflexion poétique de Claudel sur la nature rejoint d’ailleurs sa théorie du vers. Dans ses Réflexions et propositions sur le vers français (1925), il affirme : « L’homme a été mis par Dieu au milieu de la nature pour l’achever et la lui offrir »[31]. Cette phrase est révélatrice : la nature n’est pas seulement donnée, elle est puissance inachevée, que l’homme a pour mission de compléter et de rendre à Dieu. Ici encore, l’imaginaire claudélien rejoint indirectement le vocabulaire spinoziste : la puissance d’exister (conatus) de chaque être, chez Spinoza, trouve son écho dans la vision claudélienne d’un monde inachevé, tendu vers son accomplissement. La différence, bien sûr, est décisive : là où Spinoza ne reconnaît pas de finalité transcendante, Claudel insère ce dynamisme dans une économie de l’offrande et du salut.
Cette tension éclate dans le théâtre claudélien. Dans Le Soulier de satin (1929), pièce-monde, la nature et l’histoire se déploient comme une fresque totale, traversée par la présence divine. Le personnage de Don Rodrigue proclame : « Tout ce qui arrive est adorable »[32]. Cette formule, qui condense l’attitude spirituelle claudélienne, évoque irrésistiblement la maxime spinoziste omnia, quae sunt, in Deo sunt (« toutes choses sont en Dieu »)[33]. Bien que leur fondement théologique soit différent, l’effet produit est similaire : une acceptation joyeuse de la nécessité du monde, perçu non comme chaos absurde, mais comme manifestation du divin.
Claudel se distingue toutefois en refusant l’équivalence spinoziste de Dieu et de la Nature. Pour lui, la création est saturée de la présence divine, mais elle demeure autre que Dieu. Le théâtre et la poésie claudéliens doivent donc se lire comme une tentative de tenir ensemble deux pôles : d’un côté, l’immanence d’une nature habitée, vibrante, traversée de souffle divin ; de l’autre, la transcendance radicale du Dieu chrétien, que l’homme sert dans l’offrande et la louange. Cette dialectique, toujours instable, confère à son œuvre sa force spirituelle. Mais elle révèle aussi combien la hantise du spinozisme, même récusé, travaille encore au cœur de la littérature chrétienne moderne.
Bernanos : la grâce face à l’immanence
La confrontation avec Spinoza, chez Georges Bernanos, ne prend pas la forme d’une réfutation doctrinale explicite, mais d’un affrontement souterrain avec l’hypothèse d’un monde sans transcendance. Là où Claudel exalte la création comme liturgie cosmique, Bernanos met en scène un univers plus sombre, ravagé par le silence de Dieu, traversé par le mal et la souffrance. Son catholicisme est radicalement christocentrique, fondé sur l’expérience de la grâce et du salut, mais il s’élabore dans un décor spirituel où l’immanence semble parfois suffire à tout expliquer. Cette dramaturgie spirituelle le rapproche indirectement du défi spinoziste : penser Dieu, non plus dans l’évidence d’une transcendance manifeste, mais dans un monde qui peut être conçu sans providence, où la nature paraît s’organiser selon une nécessité interne, close sur elle-même.
Ce climat d’immanence inquiète correspond à une mutation culturelle plus large du XXᵉ siècle. La philosophie française redécouvrait alors Spinoza : Bergson le mentionne à plusieurs reprises dans L’Évolution créatrice (1907) comme représentant d’un système rationaliste cohérent[34], et il sera bientôt réinterprété par la phénoménologie et, plus tard, par Deleuze[35]. Bernanos, lecteur attentif de l’air du temps, écrit donc dans une époque où Spinoza n’est plus l’hérétique marginal dénoncé par Bossuet, mais un penseur incontournable, réinvesti comme ressource par la modernité philosophique. Face à cette montée en puissance, l’écrivain catholique, par la fiction, prend acte du défi : comment affirmer la transcendance dans un univers où la nécessité semble pouvoir tout expliquer ?
L’imaginaire bernanosien est ainsi travaillé par une hantise proche de celle qu’inspirait Spinoza aux apologistes classiques, mais transposée dans les catégories de la littérature moderne : l’expérience de l’absurde, du silence, du désespoir. Ses romans mettent en scène des personnages qui pourraient croire au déterminisme universel, à l’impossibilité de la grâce. Mais, à travers la dramaturgie de leurs épreuves, Bernanos insiste sur l’irruption imprévisible d’un autre ordre, celui de la liberté et du salut[36]. En cela, sa confrontation avec Spinoza est moins philosophique que narrative : elle se joue dans les vies racontées, dans l’épreuve existentielle des héros, où se décident le sens et la valeur du monde.
Dès son premier grand roman, Sous le soleil de Satan (1926), Bernanos confronte directement la grâce au poids d’un monde qui semble livré à une logique implacable. L’abbé Donissan, figure centrale du récit, est un prêtre aux prises avec la médiocrité spirituelle, la tentation et le mal. Tout son combat illustre une tension entre deux lectures possibles de l’existence : d’un côté, l’interprétation immanente, où les événements s’enchaînent selon une nécessité inexorable, comme si les destins humains obéissaient à une mécanique fatale ; de l’autre, l’ouverture à une transcendance qui surgit comme grâce, imprévisible, gratuite, et qui seule peut sauver l’homme de l’écrasement.
La tentation immanente, qui évoque le spectre du spinozisme, transparaît dans les figures démoniaques du roman, en particulier dans Mouchette, adolescente vouée à la perdition, ou dans Satan lui-même, qui incarne l’hypothèse d’un univers entièrement clos, gouverné par une nécessité obscure. Donissan, affrontant le mal dans toute sa densité existentielle, découvre que l’homme ne peut se sauver par ses propres forces : il a besoin de la grâce, c’est-à-dire de l’intervention gratuite de Dieu. Bernanos écrit ainsi : « La grâce est un mystère plus écrasant encore que le péché, et pourtant la seule espérance du monde »[37].
Ce contraste entre la nécessité et la grâce constitue l’un des noyaux de l’imaginaire bernanosien. Là où Spinoza conçoit l’homme comme partie intégrante de la nature, soumis aux lois de la substance unique, Bernanos met en scène un univers qui pourrait sembler spinoziste – monde régi par des forces supérieures, déterministes, insensibles à la liberté humaine – mais il le retourne par la dramatisation du salut. Loin de se dissoudre dans la nécessité, ses personnages, et en particulier ses saints, révèlent la possibilité d’une liberté nouvelle, fruit d’une transcendance qui déjoue les lois naturelles[38].
Ainsi, Sous le soleil de Satan peut se lire comme un roman écrit « à l’ombre » de Spinoza : il en partage le décor d’un monde livré au poids de la nécessité, mais il le transfigure en affirmant la primauté de la grâce[39]. L’œuvre illustre de manière paradigmatique la confrontation moderne entre la tentation d’un univers sans transcendance et la proclamation chrétienne d’une liberté fondée sur le Christ.
Cette dialectique entre nécessité et grâce trouve son expression la plus limpide dans le Journal d’un curé de campagne (1936). Le récit, tenu à la première personne, plonge le lecteur dans la conscience d’un jeune prêtre rongé par la maladie, l’isolement et le doute. Tout au long de ses notes, il fait l’expérience d’un Dieu silencieux, apparemment absent, comme si l’univers pouvait se suffire à lui-même et se dérouler selon une immanence close. Ce silence est proche de ce que les apologistes attribuaient au spinozisme : un monde sans providence, où la transcendance semble abolie, où la nécessité règne sans appel.
Pourtant, la formule ultime du roman — « Tout est grâce »[40] — inverse radicalement la perspective. Là où un univers spinoziste se définit par la nécessité absolue de la substance, Bernanos proclame la gratuité universelle du salut. Le mot « tout » devient ainsi le lieu du contraste : chez Spinoza, il désigne la totalité immanente des modes qui expriment la substance divine ; chez Bernanos, il se rapporte à chaque instant, même le plus douloureux, transfiguré par l’irruption d’une grâce surnaturelle. La ressemblance lexicale souligne la différence théologique : nécessité d’un côté, don gratuit de l’autre.
Cette opposition féconde a frappé les critiques. Jacques Petit note que « la phrase finale du Journal n’est pas une formule d’optimisme, mais l’aboutissement d’une lutte contre la tentation de voir dans le monde une machine aveugle »[41]. Le roman dramatise donc, sous forme narrative, la confrontation entre deux lectures possibles du réel : soit l’immanence fermée, qui rejoint l’hypothèse spinoziste, soit l’ouverture à une transcendance, qui en sauve jusqu’aux aspects les plus obscurs.
Ainsi, la force de Bernanos tient à ce renversement : il assume la possibilité d’un univers sans Dieu, mais il choisit d’y lire la trace d’une grâce universelle. Ce geste n’est pas sans rappeler la méthode même de l’apologétique moderne : reconnaître la tentation du spinozisme, mais l’affronter en réaffirmant que la liberté et la grâce ouvrent toujours un chemin dans le tissu apparemment nécessaire du monde.
On peut dès lors affirmer que la confrontation avec Spinoza, chez Bernanos, ne prend jamais la forme d’une polémique explicite, mais d’une dramaturgie intérieure. Ses romans sont peuplés de prêtres humiliés, de saints méconnus, de figures du désespoir : autant de personnages qui incarnent la tentation de vivre dans un monde fermé, sans transcendance, livré au seul poids de la nécessité. Cette tentation rejoint indirectement ce que Spinoza avait pensé sous le nom de Deus sive Natura : un univers cohérent, mais où l’action de la providence et la liberté de la grâce deviennent impensables.
Or Bernanos retourne ce cadre. Loin de nier la tentation d’un monde immanent, il la prend au sérieux et en fait le ressort même de son art romanesque. La nuit de la foi, le silence de Dieu, le spectacle du mal ne sont pas des faiblesses de l’imaginaire chrétien, mais l’épreuve qui oblige à redécouvrir la grâce comme don surnaturel. Henri Gouhier a bien résumé cette tension : « La liberté chrétienne chez Bernanos ne triomphe qu’en affrontant l’hypothèse d’un univers spinoziste, et en l’exorcisant »[42]. Ainsi, le spinozisme fonctionne comme une hypothèse-limite : il n’est pas réfuté par des thèses, mais mis en scène, dramatisé et finalement dépassé par l’expérience de la grâce.
C’est pourquoi l’œuvre de Bernanos illustre une étape décisive dans la réception chrétienne de Spinoza : après l’époque des réfutations (Bossuet, Bayle), après le temps des ambiguïtés romantiques (Chateaubriand, Lamartine, Lamennais), vient celui de l’intériorisation. Le spinozisme n’est plus seulement l’ennemi extérieur ; il devient le double inquiétant qui hante l’imaginaire du roman catholique moderne. Par son insistance sur le silence de Dieu et sur la possibilité d’un monde sans transcendance, Bernanos dialogue sans cesse avec l’ombre de Spinoza, mais c’est pour mieux réaffirmer, dans un geste ultime de foi, que « tout est grâce ».
CONCLUSION
L’examen de la réception de Spinoza dans la littérature chrétienne française révèle une trajectoire paradoxale, marquée par trois temps successifs. Aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, il est l’ennemi absolu, l’« athée vertueux » que Bayle désigne comme figure scandaleuse, et que Bossuet ou Lamy brandissent comme spectre dissolvant de la théologie. Le spinozisme fonctionne alors comme un repoussoir polémique : il sert moins à comprendre Spinoza qu’à renforcer, par contraste, l’édifice de l’apologétique.
Au XIXᵉ siècle, la situation change. Le romantisme chrétien, de Chateaubriand à Lamartine, puis l’itinéraire de Lamennais, ne cessent d’éprouver une fascination inquiète pour l’immanence cosmique que Spinoza incarnait. Sans l’avouer, ces écrivains laissent affleurer dans leur lyrisme ou leur prose prophétique des accents proches du Deus sive Natura. Le spinozisme cesse d’être uniquement une hérésie extérieure : il devient une tentation intérieure, qui oblige les écrivains chrétiens à reformuler leur rapport à la transcendance.
Au XXᵉ siècle, enfin, avec Claudel et Bernanos, Spinoza n’apparaît plus comme un adversaire déclaré, mais comme un interlocuteur invisible. La poésie cosmique de Claudel court le risque de confondre l’immanence du monde et la présence divine, tout en réaffirmant sans cesse la transcendance du Créateur. Les romans de Bernanos, eux, dramatisent l’hypothèse d’un univers sans Dieu, livré à la nécessité, pour mieux proclamer la gratuité de la grâce. Dans l’un et l’autre cas, le spinozisme n’est pas intégré, mais il agit comme une épreuve spirituelle : il contraint la littérature chrétienne à affronter la possibilité d’un monde sans transcendance et, ce faisant, à réaffirmer autrement la singularité de la foi.
On comprend dès lors que l’histoire de la réception de Spinoza en France ne se réduit pas à une série de condamnations ou de réfutations. Elle dessine une véritable dialectique : de l’exclusion à la hantise, puis de la hantise à l’intériorisation. Spinoza demeure l’« autre » radical, mais un autre dont l’ombre nourrit, paradoxalement, la créativité des écrivains chrétiens. Si la littérature apologétique, romantique et moderne se définit en partie contre lui, elle lui doit aussi d’avoir trouvé de nouvelles formes d’expression, capables de dire la transcendance dans un monde qui ne cesse de tendre vers l’immanence.
En ce sens, la place de Spinoza dans la littérature chrétienne française est moins celle d’un modèle que celle d’un révélateur. En l’exorcisant, les écrivains ont reconnu sa force ; en le redoutant, ils ont affiné leur propre langage ; en le frôlant, ils ont élargi les possibilités de leur imagination religieuse. C’est peut-être là la marque d’un grand adversaire : ne jamais être assimilé, mais demeurer présent comme l’hypothèse qui oblige la pensée à se dépasser.
[1] Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Reinier Leers, 1697, art. « Spinoza », t. IV, col. 2748.
[2] Resolutie van de Staten van Holland en West-Friesland, 25 juin 1678. Texte publié dans A. van der Linde, Bibliographia Spinozana, La Haye, Martinus Nijhoff, 1871, p. 229-230.
[3] Index librorum prohibitorum, Rome, 1679 (Congrégation de l’Index, décret du 29 juillet 1679, confirmant l’interdiction du Tractatus theologico-politicus et des Opera posthuma).
[4] Jonathan Israel, Radical Enlightenment: Philosophy and the Making of Modernity 1650–1750, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 159.
[5] Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Reinier Leers, 1697, art. « Spinoza », t. IV, col. 2746.
[6] François Lamy, Nouvelles réflexions sur l’athéisme, Paris, Florentin Delaulne, 1696, p. 303.
[7] Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680–1715), Paris, Boivin, 1935, p. 163.
[8] Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Reinier Leers, 1697, art. « Spinoza », t. IV, col. 2748.
[9] Antony McKenna, Pierre Bayle. Le philosophe de Rotterdam, Paris, Champion, 1992, p. 211.
[10] Jacques-Bénigne Bossuet, Lettre pastorale sur le quiétisme, Paris, 1697, in Œuvres complètes, éd. Lachat, t. XX, Paris, Vivès, 1862, p. 45.
[11] Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680–1715), Paris, Boivin, 1935, p. 163.
[12] Jonathan I. Israel, Radical Enlightenment: Philosophy and the Making of Modernity 1650–1750, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 159.
[13] François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme, T.I, Paris, Migneret, 1802, Préface.
[14] NDLR : Chateaubriand vise explicitement Voltaire, Rousseau, les encyclopédistes ; Spinoza, beaucoup moins. Son nom circule plutôt comme synonyme de panthéisme dans les controverses intellectuelles (notamment via Bayle et les polémiques XVIIIᵉ).
[15] Baruch Spinoza, Éthique, I, Déf. VI : « Per Deum intelligo ens absolute infinitum, hoc est substantiam constantem infinitis attributis […]. » Trad. française : Dieu, c’est-à-dire la Nature.
[16] François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 312 : « Le christianisme seul a su faire parler les moindres fleurs des champs et leur donner une voix pour chanter la gloire de Dieu. »
[17] Philippe Sellier, Chateaubriand. Poétique du sublime, Paris, PUF, 1996, p. 142.
[18] Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, Paris, Hachette, 1820, poème L’Immortalité, v. 1-2.
[19] Ibid., poème Le Vallon, v. 41-44 : « Écoute la voix des bois et la plainte des vents… »
[20] Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Corti, 1973, p. 412-415 ; Philippe Sellier, Chateaubriand. Poétique du sublime, Paris, PUF, 1996, pp. 245-250.
[21] Félicité de Lamennais, Essai sur l’indifférence en matière de religion, Paris, P. Dufart, 1817-1823, 4 vol. Voir notamment t. I, pp. 25-30.
[22] Félicité de Lamennais, Paroles d’un croyant, Paris, Charles Gosselin, 1834, chap. VI : « Peuples ! Dieu vous a créés pour être libres. »
[23] Grégoire XVI, Encyclique Singulari nos, 25 juin 1834 : « Ce petit livre, mais plein de fiel, écrit pour exciter les peuples à la révolte… »
[24] Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Paris, Mercure de France, 1900, p. 12-15, où il définit chaque fragment du monde comme « offrande » à Dieu.
[25] Paul Claudel, Cinq grandes odes, Paris, Mercure de France, 1910, ode « Magnificat », p. 89.
[26] Olivier Millet, « Claudel et le panthéisme », in Revue d’histoire littéraire de la France, 92/3, 1992, p. 415-430.
[27] Paul Claudel, Positions et propositions, Paris, Gallimard, 1928, p. 57
[28] Ibid., p.113
[29] Jacques-Bénigne Bossuet, Lettre pastorale sur le quiétisme, 1697, in Œuvres complètes, éd. Lachat, Paris, Vivès, 1862, t. XX, p. 45.
[30] François Lamy, Nouvelles réflexions sur l’athéisme, Paris, Florentin Delaulne, 1696, p. 303.
[31] Paul Claudel, Réflexions et propositions sur le vers français, Paris, Gallimard, 1925, p. 48 : « L’homme a été mis par Dieu au milieu de la nature pour l’achever et la lui offrir. »
[32] Paul Claudel, Le Soulier de satin, Paris, Gallimard, 1929, acte III, scène 14 : « Tout ce qui arrive est adorable. »
[33] Baruch Spinoza, Éthique, I, prop. XV : « Omnia, quae sunt, in Deo sunt, et sine Deo nec esse nec concipi possunt. » (Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être ni être conçu sans Dieu).
[34] Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Félix Alcan, 1907, p. 293-295 : Bergson qualifie Spinoza de « grand rationaliste » et discute la question de la liberté.
[35] Cf. Gilles Deleuze, Spinoza et le problème de l’expression, Paris, Minuit, 1968, qui témoigne de l’importance croissante de Spinoza au XXᵉ siècle.
[36] Georges Bernanos, Essais et écrits de combat, éd. M.-F. Balat et al., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, t. I, p. 112 : « Nous vivons dans un monde où Dieu se tait, et ce silence est plus terrible que le blasphème. »
[37] Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, Paris, Plon, 1926, p. 178.
[38] Jacques Petit, Bernanos et la grâce, Paris, Seuil, 1963, p. 54-61.
[39] Henri Gouhier, Bernanos et la liberté, Paris, Vrin, 1974, p. 92-95.
[40] Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Paris, Plon, 1936, p. 315.
[41] Jacques Petit, Bernanos et la grâce, Paris, Seuil, 1963, p. 112.