Séquence 1 – La Nouvelle et la peinture de société

Séquence 1 – La Nouvelle et la peinture de société

12 septembre 2021 Non Par Cyril Lélian Daudé

Problématique de séquence : Comment la diversité des nouvelles peut-elle être représentative de la diversité de la société ?

Séance 1 : la nouvelle d’hier et d’aujourd’hui

Séance principalement orale


Problématique de séance : comment la nouvelle continue-t-elle de perdurer à travers le temps ?

Objectifs :

  • Comprendre les bases et les grands principes de la nouvelle
  • Comprendre ce qu’est une « chute » dans une nouvelle à partir d’un exemple moderne de narration (publicité)
  • Savoir comparer un texte littéraire à chute avec un une publicité « à chute ».

 (¤ Cf. Documents de séance) :

  • Continuité des parcs, de Julio Cortàzar (nouvelle intégrale) ;
  • Publicité « à chute » (document audiovisuel) : Publicité de sensibilisation routière (Ministère des transports Allemagne).

Etapes :

I – La publicité : la nouvelle contemporaine ?

 
> Etude de la composition d’une publicité de sensibilisation routière
> Compréhension de ce qu’est une chute
 
=> La chute est une fin abrupte et surprenante qui donne offre un autre éclairage de ce qui a pu être vu ou lu précédemment. Dans cette publicité, la chute a une utilité morale/édificatrice (= qui apporte une leçon au spectateur), mais donne également sens au récit. Le récit (des jeunes qui assistent à un accident) n’a pas d’intérêt s’il n’y a pas cette chute.
 
Toutes les nouvelles n’ont pas nécessairement une chute. Cependant, il existe des nouvelles à chute dont le principe repose principalement sur cet effet de fin inattendue et surprenante.
 

II – La nouvelle qui joue avec l’horizon d’attente

 
Etude du texte de Julio Cortàzar : dans cette nouvelle, l’écrivain se joue de l’horizon d’attente du lecteur. 
C’est le procédé nommé ellipse narrative qui permet d’induire le lecteur en erreur. Alors qu’on croit que le troisième paragraphe du texte nous raconte le roman que le personnage est en train de lire, la chute nous révèle que c’est la réalité.
 
Ici, la nouvelle ne joue pas avec l’histoire mais avec les codes de la narration :
Procédé de mise en abyme : emboîtement, procédé qui consiste à représenter une œuvre dans une œuvre similaire (exemple : une pièce de théâtre dans une pièce de théâtre). Analogie avec les poupées russes.
Procédé d’ellipse narrative : procédé littéraire qui consiste à volontairement omettre un ou plusieurs éléments narratifs pour passer directement à un autre élément narratif. Bond dans le temps.

Julio Cortàzar, Continuité des parcs, 1956

     Il avait commencé à lire le roman quelques jours auparavant. Il l’abandonna à cause d’affaires urgentes et l’ouvrit de nouveau dans le train, en retournant à sa propriété. Il se laissait lentement intéresser par l’intrigue et le caractère des personnages. Ce soir-là, après avoir écrit une lettre à son fondé de pouvoirs[1] et discuté avec l’intendant[2] une question de métayage[3], il reprit sa lecture dans la tranquillité du studio, d’où la vue s’étendait sur le parc planté de chênes. Installé dans son fauteuil favori, le dos à la porte pour ne pas être gêné par une irritante possibilité de dérangements divers, il laissait sa main gauche caresser de temps en temps le velours vert. Il se mit à lire les derniers chapitres. Sa mémoire retenait sans effort les noms et l’apparence des héros. L’illusion romanesque le prit presque aussitôt. Il jouissait du plaisir presque pervers de s’éloigner petit à petit, ligne après ligne, de ce qui l’entourait, tout en demeurant conscient que sa tête reposait commodément sur le velours du dossier élevé, que les cigarettes restaient à portée de sa main et qu’au-delà des grandes fenêtres le souffle du crépuscule semblait danser sous les chênes.

     Phrase après phrase, absorbé par la sordide[4] alternative où se débattaient les protagonistes[5], il se laissait prendre aux images qui s’organisaient et acquéraient progressivement couleur et vie. Il fut ainsi témoin de la dernière rencontre dans la cabane parmi la broussaille. La femme entra la première, méfiante. Puis vint l’homme, le visage griffé par les épines d’une branche. Admirablement, il étanchait[6] de ses baisers le sang des égratignures. Lui, se dérobait aux caresses. Il n’était pas venu pour répéter le cérémonial[7] d’une passion clandestine protégée par un monde de feuilles sèches et de sentiers furtifs. Le poignard devenait tiède au contact de sa poitrine. Dessous, au rythme du cœur, battait la liberté convoitée[8]. Un dialogue haletant se déroulait au long des pages comme un fleuve de reptiles, et l’on sentait que tout était décidé depuis toujours. Jusqu’à ces caresses qui enveloppaient le corps de l’amant comme pour le retenir et le dissuader[9], dessinaient abominablement les contours de l’autre corps, qu’il était nécessaire d’abattre. Rien n’avait été oublié : alibis, hasards, erreurs possibles. À partir de cette heure, chaque instant avait son usage minutieusement calculé. La double et implacable répétition était à peine interrompue le temps qu’une main frôle une joue. Il commençait à faire nuit.

     Sans se regarder, étroitement liés à la tâche qui les attendait, ils se séparèrent à la porte de la cabane. Elle devait suivre le sentier qui allait vers le nord. Sur le sentier opposé, il se retourna un instant pour la voir courir, cheveux dénoués. À son tour, il se mit à courir, se courbant sous les arbres et les haies. À la fin, il distingua dans la brume mauve du crépuscule l’allée qui conduisait à la maison. Les chiens ne devaient pas aboyer et ils n’aboyèrent pas.

     À cette heure, l’intendant ne devait pas être là et il n’était pas là. Il monta les trois marches du perron[10] et entra. À travers le sang qui bourdonnait dans ses oreilles, lui parvenaient encore les paroles de la femme. D’abord, une salle bleue, puis un corridor[11], puis un escalier avec un tapis. En haut, deux portes. Personne dans la première pièce, personne dans la seconde. La porte du salon, et alors, le poignard en main, les lumières des grandes baies, le dossier élevé du fauteuil de velours vert et, dépassant le fauteuil, la tête de l’homme en train de lire un roman.

 


[1] Fondé de pouvoirs : personne chargée des affaires de quelqu’un d’autre.

[2] Intendant : qui s’occupe des tâches administratives.

[3] Métayage : mode d’exploitation agricole.

[4] Sordide : répugnante.

[5] Protagonistes : personnages principaux.

[6] Etanchait [le sang] : épongeait, nettoyait [le sang].

[7] Cérémonial : rituel, action habituelle.

[8] Convoitée : très recherchée.

[9] Dissuader : convaincre de ne pas le faire.

[10] Perron : escalier extérieur d’une maison menant à la porte principale.

[11] Corridor : couloir.

La nouvelle fait abstraction des personnages et de leur caractérisation pour se concentrer sur un récit descriptif d’actions ou d’événements pour aboutir à un point final qui surprend le lecteur. Le récit dans la nouvelle a tendance à induire en erreur le lecteur, jouer avec ses impressions ou préjugés, pour mieux le marquer avec sa fin. Principe souvent (mais pas toujours) d’édification du lecteur et de ses préjugés sur la littérature (et notamment le roman et ses codes).
 
Ce qu’il faut retenir des caractéristiques de la nouvelle : 
  • Récit bref ;
  • Intrigue simple, se réduisant souvent à une seule péripétie/action ;
  • Un nombre restreint et limité de personnages, dont la caractérisation (sentiments, complexités, mentalités…) est souvent simple ;
  • Peu de passages descriptifs ;
  • Absence de détails ;
  • Dialogues souvent brefs ;
  • Des ellipses narratives ;
  • Une chute finale qui inspire des sentiments vifs au lecteur.

Séance 2 : La nouvelle naturaliste

Séance principalement orale


Problématique de séance : Qu’est-ce que le naturalisme ?

Objectifs :

  • Comparer un texte naturaliste et une peinture naturaliste
  • Connaître les grandes caractéristiques du mouvement naturaliste
  • Comprendre l’intérêt des codes du naturalisme dans une nouvelle à la fin du XIXe siècle

 (¤ Cf. Documents de séance) :

  • Léon Augustin Lhermitte, La paye des Moissonneurs (1882) ;
  • Incipit de la nouvelle Madame Sourdis de Zola (pp. 8 à 10)
 
1ère heure : Etude du tableau de Léon Augustin Lhermitte.
Léon Augustin Lhermitte est un peintre réaliste qui va intégrer le courant naturaliste. Ce tableau révèle une scène de vie quotidienne en province (Mont-Saint-Père).
 
Province : Ensemble des régions hors de la capitale, avec leurs coutumes et leurs traditions spécifiques.
Ce qu’on y voit : des couleurs plutôt froides et une absence de symbolisme. Des personnages au visage dur, marqué. Habits traditionnels de moissonneurs. Pas de mise en scène ni de poses. Il s’agit d’une représentation de scène de vie quotidienne. Peinture paysanne.
> Femme qui allaite son enfant en lui donnant le sein. Scène choquante pour l’époque, et qui choque même encore aujourd’hui certaines personnes. Cette peinture sort des codes puritains de l’académie des Beaux-Arts.
(pour puritain : voir le mot puritanisme dans la nouvelle Madame Sourdis).
 
Rupture avec le Romantisme et l’exaltation des individus (comparaison avec Le Sacre de Napoléon de Jacques Louis David au début du XIXe siècle). Scène proche de la photographie. 
=> Choix du naturel et du vraisemblable : naturel a la même étymologie que le terme “naturaliste”.
 
> Le contraste entre les tableaux et les représentations du début du XIXe siècle et de la fin du XIXe siècle sont révélateurs d’une évolution des mentalités et d’un besoin de dénoncer des inégalités de plus en plus frappante en France.
Apparition du socialisme et de la question sociale dans les arts et la littérature.
 
ART FIGURATIF (par opposition à l’art abstrait) : le but est de représenter du concret, des personnages, une scène où la représentation est identifiable grâce à des repères connus du spectateur.

2ème heure : Le début d’une nouvelle naturaliste
 
Lecture de l’incipit de Madame Sourdis (pp. 8 à 10).
> Incipit : début d’un roman (on privilégiera le terme scène d’exposition pour le théâtre par exemple).
 
Qu’est-ce qu’un incipit ?
L’écrivain doit se servir de l’incipit pour inciter le lecteur à lire la suite de l’histoire. Le lecteur doit se sentir à l’aise et avoir envie de savoir vers où il se dirige. C’est le principe de captatio benevolentiae.
 
Captatio benevolentiae : Attraper la bienveillance/l’intérêt du lecteur (capio, capere latin : saisir, attraper ; benevolentia, ae, f : engagement, volontariat, bienveillance ) 
 
Plusieurs attendus dans un incipit pour que l’écrivain puisse réussir sa captatio benevolentiae :
 
1. Les personnages : présentation d’un ou plusieurs personnages principaux, description physique des personnages pour permettre une identification et une figuration.
2. Le cadre spatio-temporel : le lecteur doit pouvoir identifier le lieu et l’époque où se situe le récit.
3. L’action : le lecteur doit comprendre quels sont les événements et le contexte de l’action du récit.

Incipit de Madame Sourdis, Emile Zola, 1900

  Tous les samedis, régulièrement, Ferdinand Sourdis venait renouveler sa provision de couleurs et de pinceaux dans la boutique du père Morand, un rez-de-chaussée noir et humide, qui dormait sur une étroite place de Mercœur, à l’ombre d’un ancien couvent transformé en collège communal. Ferdinand, qui arrivait de Lille, disait-on, et qui depuis un an était « pion » au collège, s’occupait de peinture avec passion, s’enfermant, donnant toutes ses heures libres à des études qu’il ne montrait pas. Le plus souvent, il tombait sur Mlle Adèle, la fille du père Morand, qui peignait elle-même de fines aquarelles, dont on parlait beaucoup à Mercœur. Il faisait sa commande.

« Trois tubes de blanc, je vous prie, un d’ocre jaune, deux de vert Véronèse. »

Adèle, très au courant du petit commerce de son père, servait le jeune homme, en demandant chaque fois :
« Et avec ça ?
— C’est tout pour aujourd’hui, mademoiselle. »

   Ferdinand glissait son petit paquet dans sa poche, payait avec une gaucherie de pauvre qui craint toujours de rester en affront, puis s’en allait. Cela durait depuis une année, sans autre événement.

   La clientèle du père Morand se composait bien d’une douzaine de personnes. Mercœur, qui comptait huit mille âmes, avait une grande réputation pour ses tanneries ; mais les beaux-arts y végétaient. Il y avait quatre ou cinq galopins qui barbouillaient, sous l’œil pâle d’un Polonais, un homme sec au profil d’oiseau malade ; puis, les demoiselles Lévêque, les filles du notaire, s’étaient mises « à l’huile », mais cela causait un scandale. Un seul client comptait, le célèbre Rennequin, un enfant du pays qui avait eu de grands succès de peintre dans la capitale, des médailles, des commandes, et qu’on venait même de décorer. Quand il passait un mois à Mercœur, au beau temps, cela bouleversait l’étroite boutique de la place du Collège. 

   Morand faisait venir exprès des couleurs de Paris, et il se mettait lui-même en quatre, et il recevait Rennequin découvert, en l’interrogeant respectueusement sur ses nouveaux triomphes. Le peintre, un gros homme bon diable, finissait par accepter à dîner et regardait les aquarelles de la petite Adèle, qu’il déclarait un peu pâlottes, mais d’une fraîcheur de rose.

« Autant ça que de la tapisserie, disait-il en lui pinçant l’oreille. Et ce n’est pas bête, il y a là-dedans une petite sécheresse, une obstination qui arrive au style… Hein ! travaille, et ne te retiens pas, fais ce que tu sens. »

   Certes, le père Morand ne vivait pas de son commerce. C’était chez lui une manie ancienne, un coin d’art qui n’avait pas abouti, et qui perçait aujourd’hui chez sa fille. La maison lui appartenait, des héritages successifs l’avaient enrichi, on lui donnait de six à huit mille francs de rente. Mais il n’en tenait pas moins sa boutique de couleurs, dans son petit salon du rez-de-chaussée, dont la fenêtre servait de vitrine : un étroit étalage, où il y avait des tubes, des bâtons d’encre de Chine, des pinceaux, et où de temps à autre paraissaient des aquarelles d’Adèle, entre des petits tableaux de sainteté, œuvres du Polonais. Des journées se passaient, sans qu’on vît un acheteur. Le père Morand vivait quand même heureux, dans l’odeur de l’essence, et lorsque Mme Morand, une vieille femme languissante, presque toujours couchée, lui conseillait de se débarrasser du « magasin », il s’emportait, en homme qui a la vague conscience de remplir une mission. Bourgeois et réactionnaire, au fond, d’une grande rigidité dévote, un instinct d’artiste manqué le clouait au milieu de ses quatre toiles. Où la ville aurait-elle acheté des couleurs ? À la vérité, personne n’en achetait, mais des gens pouvaient en avoir envie. Et il ne désertait pas.

Madame Sourdis, Emile Zola (1900)

Comparaison entre les codes traditionnels de l’incipit et ceux utilisés par Zola dans l’incipit de Madame Sourdis.
> Personnages principaux qui ne sont pas présentés physiquement dans l’incipit, mais par leur condition sociale, leur métier, leur environnement de travail. Rejoint le tableau de Lhermitte : question sociale. Les personnages ici sont le prolongement du milieu dans lequel ils vivent. Ils ont des coutumes, des traditions, des habitus.
 
C’est ce que l’on nomme le déterminisme ou le déterminisme social : le milieu social et le lieu où l’on est né conditionne les personnages. Pour Zola : la naissance, comme dans l’Ancien Régime, condamne les individus à ne pas évoluer et conserver la destinée de leurs parents.
 
> Cadre spatio-temporel : comparaison avec la nouvelle de La Parure. Le cadre spatial ne se déroule pas à Paris mais en province. Ce que l’on nomme un microcosme (le village de Mercoeur) dans le macrocosme de la province. Scènes intimistes, fermées, cloaques. 
Cadre temporel peu explicite mais des indices nous amènent à penser qu’il s’agit de la seconde moitié du XIXe siècle : évocation des francs, de la tannerie, vocabulaire/jargon de l’époque dans les dialogues.
 
> Action : action qui se résume à une scène de vie quotidienne : journée de travail d’un vendeur de peinture. Nous ne sommes plus dans les grandes actions héroïques ou exaltées des romans de la première moitié du XIXe siècle.
 
=> Tout ceci amène à une rupture. Zola casse les codes traditionnels du roman. Le mouvement naturaliste cherche à rompre avec la tradition.
 
En quoi peut-on dans ce cas parler de captatio benevolentiae : en rompant avec les codes et l’horizon d’attente du lecteur, Zola suscite un nouvel intérêt chez le lecteur. Il va interpeller le lecteur en déconstruisant des codes connus depuis quasiment 10 siècles.

Séance 3 : Portrait et peinture dans un texte littéraire

Séance principalement orale


Problématique : Comment peindre un portrait de personnage dans un texte littéraire ?

 (¤ Cf. Œuvres et extraits ) :

  • Portrait de Ferdinand Sourdis dans Madame Sourdis (p.13) ;
  • Portrait d’Emile Zola par Edouard Manet (1868) (visible également page 7 dans l’édition Madame Sourdis)

Point de grammaire

I – L’importance de l’adjectif dans un texte littéraire

L’adjectif permet d’apporter une précision morale ou physique à quelqu’un ou quelque chose. Un texte littéraire, particulièrement les passages descriptifs, ne peuvent s’exempter d’adjectifs.

Plusieurs intérêts de l’adjectif dans un texte littéraire :

> Approfondir la personnalité d’un personnage (adjectif moral)
> Améliorer la représentation physique d’un personnage, et donc contribuer à son identité/figuration (adjectif physique) = rejoint l’art figuratif étudié en précédente séance (Cf. séance 2 : La nouvelle naturaliste, partie I).
> Orienter/influencer l’avis du lecteur. Dans le cas d’un narrateur omniscient, les adjectifs moraux (dits aussi axiologiques), oriente et influence l’avis du lecteur sur un ou plusieurs personnages.
> Susciter des sentiments auprès du lecteur, rendre plus sensible certains passages : c’est le pathos. Terme qu’on retrouve dans le mot empathie et antipathie.

Lecture du texte du portrait de Ferdinand Sourdis dans Madame Sourdis.

Portrait de Ferdinand Sourdis dans Madame Sourdis, Emile Zola, 1900

    Ferdinand avait fini par préoccuper Adèle. Il la frappait vivement par sa beauté de jeune blond, les cheveux coupés ras, mais la barbe longue, une barbe d’or, fine et légère, qui laissait voir sa peau rose. Ses yeux bleus avaient une grande douceur, tandis que ses petites mains souples, sa physionomie tendre et noyée, indiquaient toute une nature mollement voluptueuse. Il ne devait avoir que des crises de volonté. En effet, à deux reprises, il était resté trois semaines sans paraître ; la peinture était lâchée, et le bruit courait que le jeune homme menait une conduite déplorable, dans une maison qui faisait la honte de Mercœur. Comme il avait découché deux nuits, et qu’un soir il était rentré ivre mort, on avait parlé même un instant de le renvoyer du collège ; mais, à jeun, il se montrait si séduisant, qu’on le gardait, malgré ses abandons. Le père Morand évitait de parler de ces choses devant sa fille. Décidément, tous ces « pions » se valaient, des êtres sans moralité aucune ; et il avait pris devant celui-ci une attitude rogue de bourgeois scandalisé, tout en gardant une tendresse sourde pour l’artiste.

    Adèle n’en connaissait pas moins les débauches de Ferdinand, grâce aux bavardages de la bonne. Elle se taisait, elle aussi. Mais elle avait réfléchi à ces choses, et s’était senti une colère contre le jeune homme, au point que, pendant trois semaines, elle avait évité de le servir, se retirant dès qu’elle le voyait se diriger vers la boutique. Ce fut alors qu’elle s’occupa beaucoup de lui et que toutes sortes d’idées vagues commencèrent à germer en elle. Il était devenu intéressant. Quand il passait, elle le suivait des yeux ; puis, réfléchissait, penchée sur ses aquarelles, du matin au soir.

 

Madame Sourdis, Emile Zola (1900)

Emile Zola peint par Edouard Manet

Stylistique de l’adjectif :

Adjectif objectif : elle a les yeux bleus.
Adjectif subjectif : elle a de beaux yeux.

Dans les adjectifs subjectifs, on peut retrouver l’adjectif axiologique. C’est-à-dire que l’auteur oriente l’opinion du lecteur en donnant un qualificatif moral à un personnage : gentil/méchant, par exemple. Moyen mnémotechnique : l’adjectif axiologique AXE l’opinion du lecteur sur un personnage.

Parmi les adjectifs axiologiques, on trouve : les adjectifs péjoratifs (qui dévalorisent le qualifié, ex : une femme laide) ; ou mélioratifs (qui valorisent le qualifié, ex : une femme belle).

L’adjectif varie en degrés et en intensité. Il peut ainsi être précédé d’un adverbe d’intensité (si, trop, assez…), ou d’un adverbe de degré (très, moins, plus…)

Il existe aussi les adjectifs superlatifs, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas varier en degrés. Ils sont introduits par un déterminant (le/la/les).
C’est la meilleure de la classe. On ne peut pas dire : c’est la plus meilleure de la classe ; ou c’est la moins meilleure de la classe (on remplacera “moins meilleure” par “pire” : c’est la pire de la classe).

Relecture du texte. Constitution de groupes en atelier pour un exercice grammatical.

> Relevé des adjectifs dans le texte. À partir des adjectifs relevés, précision sur une définition plus grammaticale de l’adjectif.

Définition grammaticale de l’adjectif :
L’adjectif qualifie un nom. Il s’accorde en genre (féminin/masculin) et en nombre (singulier/pluriel) avec le nom qu’il qualifie.

Il faut donc toujours veiller à respecter les accords entre l’adjectif et le nom qu’il qualifie. Depuis la réforme de la grammaire, on ne parle plus d’adjectif qualificatif mais simplement d’adjectif.

Etude de certaines particularités de l’adjectif en grammaire :

L’adjectif en dérivation impropre.

On parle de dérivation “impropre” lorsqu’il y a une dérivation de la classe grammaticale vers une autre classe grammaticale.

En l’occurrence ici : la CG “verbe” -> CG “adjectif”
Ou à l’inverse : la CG “adjectif” -> CG “substantif” (nom)

> L’adjectif peut être verbal.
Exemple : une femme séduisante.
L’adjectif est dit “verbal” est lorsque le participe présent d’un verbe dérive en adjectif. 

Attention à ne pas confondre le participe présent et l’adjectif verbal. Le participe présent ne s’accorde jamais en genre et en nombre.
Ex : Une femme séduisant des hommes. Dans cette phrase, la femme fait l’action, à savoir séduire.

L’adjectif peut être substantif (devenir un nom).
Exemple : la bonne (paragraphe 2).
On parle alors d’un adjectif substantivé. C’est-à-dire qu’il ne qualifie plus un nom mais renvoie à une fonction, un métier, une particularité. Attention : l’adjectif substantivé perd sa classe grammaticale d’adjectif. Le mot “la bonne” n’a pas de qualifié.

 

II – Fonctions de l’adjectif

L’adjectif est une classe grammaticale. Il a donc également des fonctions dans la phrase, selon le contexte donné.

Les principales fonctions de l’adjectif :

> Adjectif épithète. L’adjectif est épithète lorsqu’il est directement suivi ou précédé du nom qu’il qualifie. 
Ex : Une barbe fine.
Attention : on ne parle plus d’épithète liée ou détachée. 


> Adjectif apposé. L’adjectif est apposé lorsqu’il est séparé (ponctuation notamment) du nom qu’il qualifie.
Ex : Une barbe d’or, fine et légère.

> Adjectif attribut du sujet. Comme son appellation l’indique, cet adjectif apporte un attribut au sujet de la phrase. L’adjectif est attribut du sujet lorsqu’il est introduit par un verbe d’état : être, paraître, sembler, devenir, demeurer, rester, avoir l’air…
Ex : Il était désemparé.

Pour savoir si un verbe est un verbe d’état, il faut toujours le remplacer par le verbe “être” et voir si cela fonctionne dans la phrase.

Le participe passé d’un verbe (forme composée) est également attribut du sujet.
Ex : Il est appelé.