Séance 0 • Le Roman et le Récit : du pareil au même ?

Séance 0 • Le Roman et le Récit : du pareil au même ?

8 septembre 2021 Non Par Cyril Lélian Daudé

Séance principalement orale sous forme d’atelier

Problématique : Comment discerner un roman et un récit dans un texte littéraire donné ?

Objectifs didactiques :

4 courts extraits seront proposés aux élèves (¤ Cf. Documents de séance) :

  • Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir ;
  • Un extrait de Jacques le Fataliste et son Maître de Diderot ;
  • « Rencontre avec la pieuvre » dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne ;
  • Un extrait des Lettres persanes de Montesquieu.

NB : Le paratexte et la mise en contexte des extraits (en dehors du titre de l’ouvrage, de la date de sa publication, et du nom de l’auteur) seront volontairement éludés afin d’éviter d’influencer l’élève dans la suite des étapes.

Documents de séance

« L'épouvantable bête », s'écria-t-il. […] C'était un calmar de dimensions colossales, ayant huit mètres de longueur. Il marchait à reculons avec une extrême vélocité dans la direction du Nautilus. Il regardait de ses énormes yeux fixes à teintes glauques. Ses huit bras, ou plutôt ses huit pieds, implantés sur sa tête, qui ont valu à ces animaux le nom de céphalopodes, avaient un développement double de son corps et se tordaient comme la chevelure des furies. On voyait distinctement les deux cent cinquante ventouses disposées sur la face interne des tentacules sous forme de capsules semisphériques. […] La bouche de ce monstre, un bec de corne fait comme le bec d'un perroquet, s'ouvrait et se refermait verticalement. Sa langue, substance cornée, armée elle-même de plusieurs rangées de dents aiguës, sortait en frémissant de cette véritable cisaille. Quelle fantaisie de la nature !
Jules Verne
Vingt mille lieues sous les mers, 1869-1870
Ainsi, l’image que je retrouve de moi aux environs de l’âge de raison est celle d’une petite fille rangée, heureuse et passablement arrogante. Deux ou trois souvenirs démentent ce portrait et me font supposer qu’il eût suffi de peu de chose pour ébranler mon assurance. À huit ans, je n’étais plus gaillarde comme dans ma première enfance mais malingre et timorée. Pendant les séances de gymnastique dont j’ai parlé, j’étais vêtue d’un vilain maillot étriqué et une de mes tantes avait dit à maman : « Elle a l’air d’un petit singe. » Vers la fin du traitement, le professeur me réunit aux élèves d’un cours collectif : une bande de garçons et de filles qu’accompagnait une gouvernante. Les filles portaient des costumes en jersey bleu pâle, aux jupes courtes et gracieusement plissées ; leurs tresses lustrées, leur voix, leurs manières, tout en elles était impeccable. […] Je me sentis soudain gauche, poltronne, laide : un petit singe.
Simone de Beauvoir
Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958
LE MAITRE. Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien.
JACQUES. C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos chevaux à l’abreuvoir. Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne.
LE MAITRE. Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES. Vous l’avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d’une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n’aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
Denis Diderot
Jacques le Fataliste et son maître, 1785
Lettre XCIX. Rica à Rhedi. À Venise.

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu n’eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; […]

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717
Montesquieu
Lettres persanes, 1721

Première partie : la question épineuse du roman

Etapes de la séance :

Etape 1 • Lecture à voix haute des extraits par les élèves.

Etape 2 • Vérification de la bonne compréhension des extraits en reformulant éventuellement certaines tournures de phrases ou lorsque certains élèves signalent une difficulté avec la lexicologie (ex. céphalopodes, texte 1 ou malingre texte 2).

Etape 3 • Création d’un atelier par groupes de 2 à 4 élèves. Chaque groupe constitué se voit un texte attribué et répond à la question qui lui est posée (¤ CF. Documents de séance, « Première partie : la question épineuse du roman »), d’abord de façon individuelle, puis en commun.

Etape 4 • Après un temps accordé au travail de réflexion en coordination, chaque groupe propose ses réponses au reste de la classe : au tableau, on note les idées et on discute des propositions soumises par les élèves. Le but est d’arriver progressivement et collectivement à dessiner une définition du roman.

Etape 5 • Lorsque la mise en commun des propositions a suffisamment abouti, les élèves devront, avec leurs mots, fournir une définition de ce qu’est pour eux le roman. À terme, je proposerai une synthèse de ce qu’est le roman, composée à partir de la réflexion des élèves.

҉ Aboutir in fine à une définition synthétique du roman qui servira de base à la suite d’un cours: Le roman est une œuvre littéraire en prose mettant en scène un ou plusieurs personnages.

Etape 6 • Confronter les élèves au caractère protéiforme du roman, et montrer la difficulté à distinguer ce genre d’un autre. On en arrive alors à la question du récit, question permettant de faire transition avec la deuxième partie de séance.

QUESTION POSEE AUX ELEVES :

  1. Nous allons étudier le Roman et le Récit du XVIIIe au XXIe siècle. Selon vous, l’extrait que vous avez sous les yeux correspond-il à un extrait de roman ? Justifiez votre réponse.

Conseil : Le titre de l’œuvre, sa date de publication ainsi que le nom de l’auteur peuvent être des indicateurs.

Ce qui a été relevé par les élèves :

  • Des formes différentes (dialogues, description, lettre, introspection/mémoire…)
  • Des narrateurs différents (interne ou externe au récit) : “je”, “il”.
  • Points de vue différents
  • Des sujets différents

=> Le roman est protéiforme, c’est-à-dire qu’il peut revêtir différentes formes, arborer différents sujets, avoir des codes différents.

=> Ses codes et ses repères changent au fil des siècles.

=> Ses sujets changent selon les siècles (individu avec Simone de Beauvoir, société avec Montesquieu…).

Retenir : le roman est en perpétuelle mutation. Il s’adapte avec l’évolution de la société pour rester en constante modernité avec les sujets contemporains et de société.

Deuxième partie : le récit ou l'art de la narration

Etape 1 • Le but est de souligner les contradictions du roman, en confrontant les élèves aux multiples façons de construire le récit.

 

Etape 2 • Tenter de comprendre la sensibilité des élèves face à un texte de littérature parfois résistant en leur demandant de se focaliser sur le style. L’objectif de la question de la Partie 2 : la construction d’un récit vise à cerner leur degré de compréhension mais aussi d’assimilation d’un texte littéraire. À partir de là, commencer à poser les premiers jalons d’une définition et arriver à l’idée que le récit, selon la manière dont il est construit, inspire des sentiments pluriels au lecteur : la crainte, le suspens, l’empathie, la joie, etc. La finalité est de créer un intérêt de lecture.

 

Etape 3 • Aborder la question de la polysémie du mot « récit » à partir d’un deuxième exercice rapide où les élèves, à main levée, proposent des définitions ou des synonymes aux différentes acceptions du mot récit. Progressivement, on commence à affiner la définition et à baliser les différentes zones d’ombre qui pourraient poser un problème à l’élève.

 

Etape 4 • Réussir à fournir une distinction claire entre les notions de « Récit » et « thème » pour permettre à l’élève d’y voir plus clair. J’ai choisi de reprendre les extraits de texte « Documents de séance » (p.1) mais en les réduisant à leur simple thème. Les élèves devront alors réussir à distinguer cette différence entre le thème d’un roman et son récit.

҉ Aboutir à une définition synthétique : le récit permet de développer un thème et le rendre intéressant.

 

Etape 5 • Rattacher de façon (peut-être plus triviale) le récit à des repères que les élèves, en général, maîtrisent mieux, comme le cinéma. À partir de questions, faire l’analogie entre la construction d’un récit en littérature et la construction d’un récit au cinéma (pourquoi regarde-t-on un film qui nous a plu si on l’a déjà vu et dont on connaît l’aboutissement ? => Parce qu’il n’y a pas que l’histoire qui intéresse le spectateur, mais la façon dont elle est racontée ou menée [mise en scène, originalité, style du réalisateur… Exactement comme dans un roman]

 

Etape 7 • Montrer que, dans certains cas, la façon dont un récit est construit apporte un plus grand intérêt que l’histoire et le thème en eux-mêmes. Deux comparaisons : le film oscarisé Memento dont le spectateur connaît déjà la fin mais ne connaît pas les circonstances qui ont conduit à cette fin / le roman Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo dont la première page nous annonce que le personnage est condamné à mort et va, tout au long du récit, expliquer ce qui l’a conduit à cette situation.

 

Ces différents travaux et illustrations faits, demander aux élèves quelle définition ils donneraient au mot « Récit ». Mettre en commun les propositions, les discuter, les affiner.

҉ Aboutir à une définition synthétique : Le récit est la façon dont on raconte les évènements d’un roman pour susciter l’intérêt du lecteur.