Introduction au parcours 1

Introduction au parcours 1

7 août 2021 Non Par Cyril Lélian Daudé

Table des matières

Avant toute chose, il convient de bien encadrer les termes du parcours, d’appréhender leurs différentes acceptions et de contextualiser, dans une temporalité donnée, le sujet. Nous avons ici deux grandes références qui serviront de jalon avant d’approfondir l’intitulé :

  • Référence sémantique, par la coordination de deux substantifs : Roman et Récit.
  • Référence temporelle, à partir d’une période donnée : « du XVIIIe siècle et XXIe siècle ».

Ces premiers indices relevés, tâchons d’en expliquer leur teneur et leur portée.

Définition des termes-clés :

Sans même ouvrir un dictionnaire, nous savons d’avance qu’une distinction doit être apportée entre les substantifs « Roman » et « Récit ». La coordination « et » démontre explicitement qu’il ne s’agit pas de mêmes notions, sans pour autant qu’elles soient antithétiques ou contradictoires. Elles seraient davantage corrélatives.

Voici ce que le dictionnaire Larousse nous donne comme définitions pour ces deux termes :

  • Roman, nom commun masculin :

1. Langue dérivée du latin, qui était parlée entre le Ve et le Xe siècle dans l’ensemble de la Romania (par opposition au latin, qui restait la langue écrite) ;

 

2. Œuvre d’imagination constituée par un récit en prose d’une certaine longueur, dont l’intérêt est dans la narration d’aventures, l’étude de mœurs ou de caractères, l’analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ;

 

3. Genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques ;

 

4. À l’origine, œuvre narrative en prose ou en vers, écrite en langue romane (le Roman de la Rose, le Roman de Renart) ;

 

5. Histoire compliquée dénuée de vraisemblance : Cela m’a tout l’air d’un roman ;

 

 

  • Récit, nom commun masculin :
    (Dérivation substantivée de réciter)

1. Action de relater, de rapporter quelque chose : Faire le récit d’un voyage.
Synonymes : Compte-rendu ; exposé ; exposition ; narration ; rapport ; relation ; tableau

 

2. Développement oral ou écrit rapportant des faits vrais ou imaginaires : Écrire des récits d’aventures ;

 

3. Dans une œuvre dramatique, narration d’un événement qui a eu lieu hors de la scène ;

 

4. Synonyme de récitatif.

Roman, nom commun masculin :

  1. Langue dérivée du latin, qui était parlée entre le Ve et le Xe siècle dans l’ensemble de la Romania (par opposition au latin, qui restait la langue écrite) ;
  2. Œuvre d’imagination constituée par un récit en prose d’une certaine longueur, dont l’intérêt est dans la narration d’aventures, l’étude de mœurs ou de caractères, l’analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ;
  3. Genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques ;
  4. À l’origine, œuvre narrative en prose ou en vers, écrite en langue romane (le Roman de la Rose, le Roman de Renart) ;
  5. Histoire compliquée dénuée de vraisemblance : Cela m’a tout l’air d’un roman ;
  1.  

Récit, nom commun masculin :

(Dérivation substantivée de réciter)

  1. Action de relater, de rapporter quelque chose : Faire le récit d’un voyage.

Synonymes : Compte-rendu ; exposé ; exposition ; narration ; rapport ; relation ; tableau

    1. Développement oral ou écrit rapportant des faits vrais ou imaginaires : Écrire des récits d’aventures ;
    2. Dans une œuvre dramatique, narration d’un événement qui a eu lieu hors de la scène ;
    3. Synonyme de récitatif

Périodes littéraires données

La suite de l’intitulé nous indique : « du XVIIIe siècle au XXIe siècle ». Il faut donc replacer les deux termes-clés que sont « Roman » et « Récit » dans un contexte, ici l’histoire de la littérature.

N.B : il ne s’agira pas de se substituer aux cours d’Histoire, plus aptes à rendre compte de la richesse des événements de ces différentes périodes. Cependant, il est nécessaire de mettre en perspective les traits saillants des mouvements intellectuels, culturels et artistiques dans un contexte historique balisé et brièvement résumé.

Se référer à la fiche jointe en début d’article pour une approche (légèrement) plus détaillée.

Le XVIIIe siècle : L’expérimentation du roman au siècle des Lumières et de la révolution française

Lecture de la tragédie de l’orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de madame Geoffrin, par Charles Gabriel Lemonnier, 1812 

Le XVIIIe siècle succède à une période où le rayonnement de Louis XIV a favorisé de grandes avancées dans le domaine des Arts et de la culture, même si contrôlées et encadrées. Contrairement au siècle précédent, le XVIIIe n’a pas d’incarnation solitaire du pouvoir (bien que la postérité tende à résumer cette période à la figure de Louis XVI). Là où Louis XIV a régné pendant 72 ans (soit la quasi-totalité du XVIIe siècle), le XVIIIe siècle est divisé en trois périodes de règne successif :

  • Philippe d’Orléans (1715-1723)
  • Louis XV (1723-1774)
  • Louis XVI (1774-1792)

Le XVIIIe siècle est connu comme « le siècle des Lumières » (appellation empruntée au philosophe allemand de la même période, Emmanuel Kant, dans son ouvrage Qu’est-ce que les Lumières ?). Schématiquement, elle doit cette appellation à l’essor d’idées nouvelles portées par des philosophes exploitant la littérature pour édifier les mentalités grâce à la raison. Ces idées ont pour principe la lutte contre l’obscurantisme religieux. Parmi ces philosophes, notons les plus célèbres :

  • Montesquieu
  • Voltaire
  • Diderot
  • Rousseau

Dans cet extrait des Lettres persanes, Montesquieu célèbre les récentes découvertes de la science et de la raison humaine. Avec un enthousiasme propre aux futurs Encyclopédistes, il conçoit un monde ouvert sur l’humanité, où tous les progrès seront faciles, où l’intelligence de l’Homme dissipera tous les mystères.

   Ô toi, sage dervis, dont l’esprit curieux brille de tant de connoissances, écoute ce que je vais te dire.

   Il y a ici des philosophes qui, à la vérité, n’ont point atteint jusqu’au faîte de la sagesse orientale : ils n’ont point été ravis jusqu’au trône lumineux ; ils n’ont, ni entendu les paroles ineffables dont les concerts des anges retentissent, ni senti les formidables accès d’une fureur divine : mais, laissés à eux-mêmes, privés des saintes merveilles, ils suivent dans le silence les traces de la raison humaine.

   Tu ne saurois croire jusqu’où ce guide les a conduits. Ils ont débrouillé le chaos ; et ont expliqué, par une mécanique simple, l’ordre de l’architecture divine. L’auteur de la nature a donné du mouvement à la matière : il n’en a pas fallu davantage pour produire cette prodigieuse variété d’effets que nous voyons dans l’univers.

   Que les législateurs ordinaires nous proposent des lois pour régler les sociétés des hommes ; des lois aussi sujettes au changement que l’esprit de ceux qui les proposent, et des peuples qui les observent : ceux-ci ne nous parlent que des lois générales, immuables, éternelles, qui s’observent sans aucune exception, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie, dans l’immensité des espaces.

   Et que crois-tu, homme divin, que soient ces lois ? Tu t’imagines peut-être qu’entrant dans le conseil de l’Éternel, tu vas être étonné par la sublimité des mystères : tu renonces par avance à comprendre ; tu ne te proposes que d’admirer.

Mais tu changeras bientôt de pensée : elles n’éblouissent point par un faux respect ; leur simplicité les a fait longtemps méconnoître, et ce n’est qu’après bien des réflexions qu’on en a vu toute la fécondité et toute l’étendue.

   La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite, à moins qu’il ne rencontre quelque obstacle qui l’en détourne ; et la seconde, qui n’en est qu’une suite, c’est que tout corps qui tourne autour d’un centre tend à s’en éloigner, parce que, plus il en est loin, plus la ligne qu’il décrit approche de la ligne droite.

   Voilà, sublime dervis, la clef de la nature ; voilà des principes féconds, dont on tire des conséquences à perte de vue, comme je te le ferai voir dans une lettre particulière.

   La connoissance de cinq ou six vérités a rendu leur philosophie pleine de miracles, et leur a fait faire presque autant de prodiges et de merveilles que tout ce qu’on nous raconte de nos saints prophètes.

   Car enfin je suis persuadé qu’il n’y a aucun de nos docteurs qui n’eût été embarrassé, si on lui eût dit de peser dans une balance tout l’air qui est autour de la terre, ou de mesurer toute l’eau qui tombe chaque année sur sa surface ; et qui n’eût pensé plus de quatre fois, avant de dire combien de lieues le son fait dans une heure ; quel temps un rayon de lumière emploie à venir du soleil à nous ; combien de toises il y a d’ici à Satume ; quelle est la courbe selon laquelle un vaisseau doit être taillé pour être le meilleur voilier qu’il soit possible.

Montesquieu, Les lettres persanes, XCVII (97), 1716

La Monarchie absolue est remise en question, du fait de l’affaiblissement de la figure royale mais aussi de l’émergence des idées de progrès (libertés d’expression et de pensée) et de la remise en cause des privilèges (Tripartition sociétale : Tiers-Etat/Clergé/Noblesse). Tout ceci fermente au fil des décennies et aboutit à la Révolution française en 1789.

Le XVIIIe siècle est également marqué par plusieurs faits notables :

  1. L’ascension de la bourgeoisie : La noblesse est de plus en plus pauvre et organise des mariages avec la bourgeoisie qui prend peu à peu l’ascendant et atteint les lieux de pouvoir comme la justice, les finances ou même la politique (comme lors de la première Assemblée constituante de 1789).
  2. L’essor du libertinage : Sous la régence de Philippe d’Orléans, les mœurs se libèrent : c’est le « libertinage ». La séduction est devenue une mode et une arme de pouvoir. À la liberté charnelle s’adjoint la liberté intellectuelle : celle de remettre en cause les dogmes établis. Le libertin est donc aussi un libre penseur.
« Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; [...] il n'y a que les petits hommes, qui redoutent les petits écrits. »
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais,
dans Le Mariage de Figaro (1784)

Dans la littérature, ces deux évolutions sociétales offrent de nouveaux sujets. Elles ouvrent la voie à des expérimentations de formes romanesques :

  1. Le roman épistolaire : Montesquieu met en avant les absurdités mondaines avec les Lettres persanes. Choderlos de Laclos met en lumière l’essor du libertinage avec Les Liaisons dangereuses. Enfin, Rousseau avec Julie ou la Nouvelle Héloïse, considéré comme le précurseur du Romantisme du XIXe siècle, mettant en avant la vision de l’autonomie de l’individu face aux principes moraux.
  2. Le roman-mémoires : L’Abbé Prévost écrit en 1731 Manon Lescaut. Il s’agit d’un roman narré à la première personne qui pose les jalons du point de vue intimiste et subjectif, et donc de l’individu contre le personnage héroïque du roman du XVIIe siècle.
  3. Le roman autobiographique : Rousseau s’essaie au roman autobiographique avec Les Confessions pour placer la conscience individuelle au-dessus de la communauté. Il établit une réflexion personnelle et intériorisée et la partage à son lecteur dans un moment d’intimité ou, comme le titre l’indique, dans un moment de « confessions ».

Jean-Jacques Rousseau explique par la singularité  de son caractère les jugements défavorables qui sont portés sur lui à maintes reprises. Il s’agit d’un portrait apologétique particulièrement pointu qui nous renseigne sur un auteur tout à la fois penseur, romancier et styliste.

   Deux choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière : un tempérament très ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne se présentent jamais qu’après coup. On dirait que mon cœur et mon esprit n’appartiennent pas au même individu. Le sentiment plus prompt que l’éclair vient remplir mon âme, mais au lieu de m’éclairer il me brûle et m’éblouit. Je sens tout et je ne vois rien. je suis emporté mais stupide ; il faut que je sois de sang-froid pour penser. Ce qu’il y a d’étonnant est que j’ai cependant le tact assez sûr, de la pénétration, de la finesse même pourvu qu’on m’attende : je fais d’excellents impromptus à loisir ; mais sur le temps je n’ai jamais rien fait ni dit qui vaille. je ferais une fort jolie conversation par la poste, comme on dit que les Espagnols jouent aux échecs. Quand je lus le trait d’un duc de Savoie qui se retourna faisant route pour crier : à votre gorge, marchand de Paris, je dis : “me voilà.”

   Cette lenteur de penser, jointe à cette vivacité de sentir, je ne l’ai pas seulement dans la conversation, je l’ai même seul et quand je travaille. Mes idées s’arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté. Elles y circulent sourdement; elles y fermentent jusqu’à m’émouvoir, m’échauffer, me donner des palpitations, et au milieu de toute cette émotion je ne vois rien nettement ; je ne saurais écrire un seul mot, il faut que j’attende. Insensiblement ce grand mouvement s’apaise, ce chaos se débrouille ; chaque chose vient se mettre à sa place, mais lentement et après une longue et confuse agitation. N’avez-vous point vu quelquefois l’opéra en Italie ? Dans les changements de scène il règne sur ces grands théâtres un désordre désagréable, et qui dure assez longtemps : toutes les décorations sont entremêlées ; on voit de toutes parts un tiraillement qui fait peine ; on croit que tout va renverser. Cependant peu à peu tout s’arrange, rien ne manque, et l’on est tout surpris de voir succéder à ce long tumulte un spectacle ravissant. Cette manœuvre est à peu près celle qui se fait dans mon cerveau quand je veux écrire. Si j’avais su, premièrement attendre, et puis rendre dans leur beauté les choses qui s’y sont ainsi peintes, peu d’auteurs m’auraient surpassé.

   De là vient l’extrême difficulté que je trouve à écrire. Mes manuscrits raturés, barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu’ils m’ont coûtée. Il n’y en a pas un qu’il ne m’ait fallu transcrire quatre ou cinq fois avant de le donner à la presse. je n’ai jamais pu rien faire la plume à la main vis-à-vis d’une table et de mon papier. C’est à la promenade au milieu des rochers et des bois, c’est la nuit dans mon lit et durant mes insomnies que j’écris dans mon cerveau, l’on peut juger avec quelle lenteur, surtout pour un homme absolument dépourvu de mémoire verbale, et qui de la vie n’a pu retenir six vers par cœur. Il y a telle de mes périodes que j’ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tête avant qu’elle fût en état d’être mise sur le papier. De là vient encore que je réussis mieux aux ouvrages qui demandent du travail, qu’à ceux qui veulent être faits avec une certaine légèreté, comme les lettres : genre dont je n’ai jamais pu prendre le ton, et dont l’occupation me met au supplice. je n’écris point de lettres sur les moindres sujets qui ne me coûtent des heures de fatigue, ou, si je veux écrire de suite ce qui me vient, je ne sais ni commencer ni finir, ma lettre est un long et confus verbiage ; à peine m’entend-on quand on la lit.

   Non seulement les idées me coûtent à rendre, elles me coûtent même à recevoir. j’ai étudié les hommes et je me crois assez bon observateur. Cependant je ne sais rien voir de ce que je vois ; je ne vois bien que ce que je me rappelle, et je n’ai de l’esprit que dans mes souvenirs. De tout ce qu’on dit, de tout ce qu’on fait, de tout ce qui se passe en ma présence, je ne sens rien, je ne pénètre rien. Le signe extérieur est tout ce qui me frappe. Mais ensuite tout cela me revient : je me rappelle le lieu, le temps, le ton, le regard, le geste, la circonstance, rien ne m’échappe. Alors, sur ce qu’on a fait ou dit, je trouve ce qu’on a pensé, et il est rare que je me trompe.

Rousseau, Les Confessions, III, 1782

Le XVIIIe siècle pour synthétiser

Un siècle marqué par l’expérimentation romanesque.

Emergence des idées de Progrès (liberté d’expression, liberté de pensée).

Organisation des philosophes des Lumières, qui portent l’idée de la conscience individuelle contre l’obscurantisme religieux.

Les prémices du roman de l’individu et du vraisemblable, par opposition à l’épopée et aux modèles antiques du personnage héroïque et mythique.

LE XVIIIe siècle Pour synthétiser

Un siècle marqué par l’expérimentation romanesque.

Emergence des idées de Progrès (liberté d’expression, liberté de pensée).

Organisation des philosophes des Lumières, qui portent l’idée de la conscience individuelle contre l’obscurantisme religieux.

Les prémices du roman de l’individu et du vraisemblable, par opposition à l’épopée et aux modèles antiques du personnage héroïque et mythique.

Le XIXe siècle : l'âge d'or du roman

Le Sacre de Napoléon, par Jacques Louis David, 1807 

Un rapide coup d’œil d’ensemble sur le XIXe siècle français révèle avant tout sa complexité. Au rythme heurté des événements politiques correspond tout un enchevêtrement de courants d’idées et de mouvements littéraires. Complexité d’autant plus sensible que nous ne sommes pas si éloignés que ça du XIXe siècle et que beaucoup de ce qui a été établi à cette période perdure encore aujourd’hui, notamment les universités, les écoles supérieures, la plupart de nos lois, mais également certaines règles traditionnelles de la littérature et des concours (le baccalauréat, les grandes écoles, etc.) ; aussi on ne pourrait se résoudre à le résumer d’une périphrase, comme on a pu le faire pour le « Siècle des Lumières ». Les principales institutions fondées au XIXe siècle continuent à perdurer aujourd’hui et donc ne sont pas figées dans une période comme aurait pu l’être le XVIIIe siècle. Néanmoins, certains historiens se plaisent à nommer le XIXe siècle comme le siècle industriel, en raison de l’apparition de l’industrie de masse qui conduira à  l’arrivée du capitalisme et du socialisme notamment.

De 1800 à 1900, la France a connu, sans compter le bref épisode des Cent-jours, pas moins de sept régimes politiques :

  1. le Consulat ;
  2. l’Empire ;
  3. la Restauration ;
  4. la Monarchie de Juillet ;
  5. la Seconde République ;
  6. le Second Empire ;
  7. la Troisième République.

Parvenue au sommet de la puissance et de la gloire militaire sous Napoléon Ier, elle a subi ensuite deux invasions au terme de l’épopée impériale entre 1814 et 1815 et une troisième en 1870-1871 ; accrue de la Savoie et du Comté de Nice en 1860, elle s’est vu amputer de l’Alsace-Lorraine par le traité de Francfort en 1871. C’est dire que le XIXe siècle apparaît dans notre histoire comme une période d’extrême instabilité.

Cette période est également marquée par deux révolutions : la Révolution de 1830 et celle de 1848, qui ont pour principaux aboutissements la suprématie de la bourgeoisie (qui conduit in extenso à l’industrialisation) et la prédominance des idées républicaines.

Tous ces événements socio-politiques vont être une source intarissable pour la littérature de l’époque, en particulier dans les trois mouvements romanesques qui vont naître : le Romantisme (1810-1850), le Réalisme (1830-1870) puis le Naturalisme (1870-1900).

Chacun de ces mouvements littéraires correspond, d’une façon beaucoup plus large, à une vue originale sur l’homme et sur le monde. Aussi on ne peut pas leur assigner des dates précises. Approximativement, ils se sont succédé, le romantisme triomphant sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, le réalisme sous le Second empire, et le naturalisme sous la Troisième République. Mais en fait, ils s’entremêlent, et l’on assiste, de l’un à l’autre, à des échanges féconds. À titre d’exemple, Balzac, créateur du roman réaliste, fut aussi un romantique et un visionnaire.

« Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs. »
Victor Hugo,
dans Les Chansons des rues et des bois (1865)

Le Romantisme (1810-1850)

Le XIXe siècle voit d’abord naître le Romantisme. Il trouve son origine dans les écrits de Chateaubriand, Madame de Staël, puis de Victor Hugo qui en deviendra le chef de fil au théâtre (avec la célèbre « Bataille d’Hernani) et en poésie. En littérature, le Romantisme est davantage représenté par les figures d’Alfred de Musset ou encore d’Alexandre Dumas.

Il s’agit d’abord et avant tout d’un mouvement littéraire et culturel à l’échelle européenne, qui a pris ses racines en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle avec le Sturm und Drang (par exemple, le Werther de Goethe, ou encore les pièces de théâtre de Schiller, comme Les Brigands). La France fait partie de ces grands foyers où s’est développé l’art romantique.

Le Romantisme se constitue en opposition à la tradition classique (héritée du XVIIe siècle) et au rationalisme des Lumières.

Jean Valjean apprend qu’un dénommé Champmathieu, qu’on prend pour lui, va comparaître aux Assises. Il fait alors face à un dilemme : va-t-il laisser condamner un innocent pour assurer sa liberté, ou va-t-il retourner au bagne ? Dans ce passage des Misérables, Hugo décrit la torture morale d’un individu face à la raison.

   Il reculait maintenant avec une égale épouvante devant les deux résolutions qu’il avait prises tour à tour. Les deux idées qui le conseillaient lui paraissaient aussi funestes l’une que l’autre. — Quelle fatalité ! quelle rencontre que ce Champmathieu pris pour lui ! Être précipité justement par le moyen que la providence paraissait d’abord avoir employé pour l’affermir !

   Il y eut un moment où il considéra l’avenir. Se dénoncer, grand Dieu ! se livrer ! Il envisagea avec un immense désespoir tout ce qu’il faudrait quitter, tout ce qu’il faudrait reprendre. Il faudrait donc dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse, à ce respect de tous, à l’honneur, à la liberté ! Il n’irait plus se promener dans les champs, il n’entendrait plus chanter les oiseaux au mois de mai, il ne ferait plus l’aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d’amour fixés sur lui ! Il quitterait cette maison qu’il avait bâtie, cette petite chambre ! Tout lui paraissait charmant à cette heure. Il ne lirait plus dans ces livres, il n’écrirait plus sur cette petite table de bois blanc. Sa vieille portière, la seule servante qu’il eût, ne lui monterait plus son café le matin. Grand Dieu ! au lieu de cela, la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaîne au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp, toutes ces horreurs connues ! A son âge, après avoir été ce qu’il était ! Si encore il était jeune ! Mais, vieux, être tutoyé par le premier venu, être fouillé par le garde-chiourme, recevoir le coup de bâton de l’argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier qui visite la manille ! subir la curiosité des étrangers auxquels on dirait : Celui-là, c’est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-Mer ! Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l’escalier-échelle du bagne flottant ! Oh ! quelle misère ! La destinée peut-elle donc être méchante comme un être intelligent et devenir monstrueuse comme le cœur humain !

   Et, quoi qu’il fît, il retombait toujours sur ce poignant dilemme qui était au fond de sa rêverie : – rester dans le paradis et y devenir démon ! rentrer dans l’enfer et y devenir ange !

   Que faire, grand Dieu ! que faire ?

   La tourmente dont il était sorti avec tant de peine, se déchaîna de nouveau en lui. Ses idées recommencèrent à se mêler. Elles prirent ce je ne sais quoi de stupéfié et de machinal qui est propre au désespoir. Le nom de Romainville lui revenait sans cesse à l’esprit avec deux vers d’une chanson qu’il avait entendue autrefois. Il songeait que Romainville est un petit-bois près de Paris où les jeunes gens amoureux vont cueillir des lilas au mois d’avril.

   Il chancelait au dehors comme au-dedans. Il marchait comme un petit enfant qu’on laisse aller seul.

   A de certains moments, luttant contre sa lassitude, il faisait effort pour ressaisir son intelligence. Il tâchait de se poser une dernière fois, et définitivement, le problème sur lequel il était en quelque sorte tombé d’épuisement. Faut-il se dénoncer ? Faut-il se taire ? — Il ne réussissait à rien voir de distinct. Les vagues aspects de tous les raisonnements ébauchés par sa rêverie tremblaient et se dissipaient l’un après l’autre en fumée. Seulement il sentait que, à quelque parti qu’il s’arrêtât, nécessairement, et sans qu’il fût possible d’y échapper, quelque chose de lui allait mourir ; qu’il entrait dans un sépulcre à droite comme à gauche ; qu’il accomplissait une agonie, l’agonie de son bonheur ou l’agonie de sa vertu.

   Hélas ! toutes ses irrésolutions l’avaient repris. Il n’était pas plus avancé qu’au commencement.

   Ainsi se débattait sous l’angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l’être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l’humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l’infini, longtemps écarté de la main l’effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d’ombre et débordant de ténèbres dans des profondeurs pleines d’étoiles.

Victor Hugo, Les Misérables, 1, VII, 3, 1862

« Qui dit romantisme dit art moderne, — c'est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts. »
Charles Baudelaire,
dans Curiosités esthétiques (1868)
Les principales caractéristiques du Romantisme :
  • La nature, les ruines, le goût pour la solitude, ou le voyage
  • L’Histoire (médiévale et antique surtout)
  • La spiritualité
  • Mélancolie, passion, sentiments personnels (lyrisme ou élégie)
  • Absence des contraintes de l’art classique
  • Recherche de la localité, du terroir ou du pittoresque

Le Réalisme (1830-1870)

Le Réalisme apparaît aux alentours de 1830 en France. Les écrivains réalistes cherchent avant tout à se détourner de l’exaltation du Romantisme pour ambitionner une visée réaliste. Leur première source d’inspiration émane des faits relatés dans la presse. Le rôle du réaliste se confond souvent avec celui du journaliste : ils se documentent, étudient les classes sociales (d’autant plus portées avec l’apparition du socialisme et de la démocratisation des traités de Karl Marx). Tout ceci les conduit à faire de leurs romans des formes de romans-documentaires, sourcés, détaillés.

En se donnant comme une peinture fidèle de la réalité, le roman réaliste se comprend dès lors comme un miroir de la société contemporaine. Il met notamment en scène des personnages individualisés, assez communs socialement, qui incarnent les aspirations ou les frustrations de l’ascension sociale et de la prédominance bourgeoise.

La visée consiste à ne pas idéaliser la réalité comme certains critiques ont pu l’affirmer au sujet du Romantisme. On privilégie les histoires réelles ou vécues, et l’objectivité. Avec son célèbre roman Madame Bovary, Flaubert est un des fondateurs du mouvement. Son enfance dans le milieu médical où il a appris l’observation rigoureuse des phénomènes lui a inculqué une écriture réaliste, au plus près des faits. Mais c’est davantage Balzac qu’on retient en raison de son Œuvre colossale intitulée La Comédie Humaine.

Dans Le Lys dans la vallée, Balzac s’essaie à la description réaliste d’un paysage. À partir de la vue du château de Saché où il a écrit ce roman, il tente de retranscrire ce qu’il voit le plus fidèlement possible. Un exercice réaliste qui se veut la vitrine de la doctrine du mouvement.

   Là se découvre une vallée qui commence à Montbazon, finit à la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. A cet aspect, je fus saisi d’un étonnement voluptueux que l’ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé. — Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu, le voici ? A cette pensée je m’appuyai contre un noyer sous lequel, depuis ce jour, je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chère vallée. Sous cet arbre confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour où j’en suis parti. Elle demeurait là, mon cœur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d’une lande était son habitation. Quand je m’assis sous mon noyer, le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenêtres. Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes ! sous un hallebergier. Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, ’’ le lys de cette vallée’’ où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. L’amour infini, sans autre aliment qu’un objet à peine entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. Si vous voulez voir la nature belle et vierge comme une fiancée, allez là par un jour de printemps, si vous voulez calmer les plaies saignantes de votre cœur, revenez-y par les derniers jours de l’automne ; au printemps, l’amour y bat des ailes à plein ciel, en automne on y songe à ceux qui ne sont plus. Le poumon malade y respire une bienfaisante fraîcheur, la vue s’y repose sur des touffes dorées qui communiquent à l’âme leurs paisibles douceurs. En ce moment, les moulins situés sur les chutes de l’Indre donnaient une voix à cette vallée frémissante, les peupliers se balançaient en riant, pas un nuage au ciel, les oiseaux chantaient, les cigales criaient, tout y était mélodie. Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine ? je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert ; je l’aime comme un artiste aime l’art ; je l’aime moins que je ne vous aime, mais sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus. Sans savoir pourquoi, mes yeux revenaient au point blanc, à la femme qui brillait dans ce vaste jardin comme, au milieu des buissons verts, éclaterait la clochette d’un convolvulus, flétrie si l’on y touche.

Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1835

« Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. »
Guy de Maupassant,
dans la Préface de Pierre et Jean (1888)
Les principales caractéristiques du Réalisme :
  • L’écrivain réaliste est témoin de son époque
  • Le récit doit être le plus réaliste possible (objectivité, description informative)
  • Vocabulaire technique pour les sujets techniques
  • Aucun sujet n’est exclu dans l’art réaliste
  • Vision pessimiste de l’avenir

Le Naturalisme (1870-1900)

De prime abord, on aurait tendance à mêler Naturalisme et Réalisme. Des points communs se retrouvent en effet entre les deux mouvements, sans pour autant qu’ils soient interchangeables (loin s’en faut). La visée des naturalistes consiste d’abord à poursuivre l’héritage des Réalistes tout en le dépassant, avec une vocation scientifique. Les écrits et traités de la Méthode expérimentale du physiologiste Claude Bernard ont notamment inspiré l’écriture naturaliste.

En tant que chef de file du naturalisme, Zola parle du roman naturaliste comme d’un « roman expérimental ». Le naturaliste cherche donc à illustrer les théories scientifiques par la littérature, et expérimenter les rapports sociaux et économiques. Là où le Réalisme avait tendance à mettre en avant des personnages issus de classes moyennes voire aisées, les naturalistes mettent en scène des personnes issues des catégories les plus basses de la société : prostituées, paysans, ou encore ouvriers métallurgiques et miniers.

Zola, figure de proue du Naturalisme, s’inspire de la Comédie Humaine de Balzac, réaliste, pour créer sa propre comédie humaine, celle des Rougon-Macquart.

Par le prisme de la décadence de la famille Coupeau, Zola brosse un portrait global de la misère qui étrangle la classe ouvrière. Il s’agit d’un témoignage de la condition ouvrière par la littérature et la fiction.  La grande force de ce texte résulte d’emprunts constants au langage du milieu qui nous est décrit.

    Deux années s’écoulèrent, pendant lesquelles ils s’enfoncèrent de plus en plus. Les hivers surtout les nettoyaient. S’ils mangeaient du pain au beau temps, les fringales arrivaient avec la pluie et le froid, les danses devant le buffet, les dîners par cœur, dans la petite Sibérie de leur cambuse. Ce gredin de décembre entrait chez eux pardessous la porte, et il apportait tous les maux, le chômage des ateliers, les fainéantises engourdies des gelées, la misère noire des temps humides. Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c’était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n’y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescot arrivait, le samedi suivant, couvert d’un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d’expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C’était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d’ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long des escaliers et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n’aurait pas produit un air d’orgues aussi abominable. Un vrai jour de jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l’écrasement du pauvre monde.

Emile Zola, L’Assommoir, 1877

« On éprouve la seule préoccupation d'écrire une œuvre vraie, pondérée, qui soit le procès-verbal fidèle d'une aventure quelconque. »
Gustave Flaubert,
dans les Romanciers naturalistes (1881)
Les principales caractéristiques du Naturalisme :
  • Le vocabulaire scientifique et physiologiste
  • La question de l’hérédité et du déterminisme (déterminisme social, environnemental…)
  • L’importance de la description et de la nature comme reflets des personnalités qui habitent ce milieu
  • Focalisation externe
  • Des personnages souvent issus des catégories les plus basses de la société
LE XIXe siècle Pour synthétiser

Un siècle marqué par les instabilités politiques (7 régimes politiques différents, 2 révolutions)

Révolution industrielle, développement de la technologie moderne et suprématie de la bourgeoisie

Trois principaux mouvements romanesques : Le Romantisme (1810-1850), le Réalisme (1830-1870), le Naturalisme (1870-1900)

Siècle de l’âge d’or du roman, de l’individu comme sujet romanesque, et de la littérature comme outil de peinture sociale (cf. Balzac et La Comédie humaine).

Le XIXe siècle pour synthétiser

Un siècle marqué par les instabilités politiques (7 régimes politiques différents, 2 révolutions)

Révolution industrielle, développement de la technologie moderne et suprématie de la bourgeoisie

Trois principaux mouvements romanesques : Le Romantisme (1810-1850), le Réalisme (1830-1870), le Naturalisme (1870-1900)

Siècle de l’âge d’or du roman, de l’individu comme sujet romanesque, et de la littérature comme outil de peinture sociale (cf. Balzac et La Comédie humaine).

Le XXe siècle : le roman en perpétuelle mutation

Le Bonheur de vivre, par Henri Matisse, 1905-1906

Si le XIXe siècle fut l’âge d’or du roman, le XXe siècle a quant à lui participé à sa démocratisation et surtout à sa diversification. La production romanesque durant cette période est incomparablement prolixe et plurielle. Là où le XIXe siècle a vu l’émergence de groupes d’écrivains, eux-mêmes représentants d’un mouvement romanesque, le XXe siècle exploite davantage l’individualisme. Tant et si bien que chaque œuvre paraît distincte, et chaque auteur semble appartenir à son propre mouvement littéraire. Hormis le Nouveau Roman, aucune tendance réelle n’a su unifier les productions littéraires de la période entre 1900 et l’an 2000. À plus forte raison, on ne saurait résumer le XXe siècle à un seul mouvement littéraire.

Le roman à l’heure des deux guerres mondiales

Le XXe siècle s’ouvre sur un événement particulièrement tragique : la Grande Guerre de 1914-1918. Bien que la France en sorte victorieuse, elle est épuisée économiquement et humainement. Si elle retrouve l’Alsace-Lorraine (qu’elle avait perdue en 1871, voir plus haut) après la ratification du traité de Versailles et qu’elle obtient une place importante à la Société des Nations, la défaite face à l’invasion allemande et l’armistice signée en 1940 avec l’Allemagne nazie marque grandement les esprits au point de créer un véritable traumatisme au sein de l’opinion, encore palpable de nos jours. Ces différents événements entraînèrent donc des répercussions sur la pensée et la littérature. Le réalisme, qui était jusque-là indissociable du genre romanesque depuis son apparition au XIXe siècle, est contesté et remis en question par de nombreux auteurs. Le débat sur le réalisme change d’orientation : il ne s’agit plus de la comprendre comme extérieure à l’homme (c’est-à-dire comme un environnement, des descriptions détaillées voire scientifiques), mais comme intérieure à l’homme. 

Le roman apparaît comme le meilleur moyen de panser une forme de blessure intérieure causée par les deux guerres mondiales, au moyen de l’introspection et de la psyché des personnages.

On voit donc fleurir de nombreux récits où la voix extérieure et clinique d’un narrateur omniscient (« il ») est remplacée par la conscience de l’individu (« je »). De cette intériorisation, les écrivains tentent de trouver le réalisme dans le caractère fluctuant, instable et insaisissable des êtres. La subjectivité et le non-dit, mais également la rupture avec la linéarité propre au récit du XIXe siècle, sont les marqueurs de cette période de grande production littéraire.

Dans cette période noire où l’on conçoit un monde en perte de sens et de principes, la notion de héros disparaît.  Le personnage de roman à cette période est un individu souvent sans but, presque sorti d’un roman picaresque, tandis que sa trajectoire n’a pas de sens, aussi bien pour lui que pour le lecteur. Nous prendrons pour exemple L’Etranger d’Albert Camus.

Le roman devient également le support didactique d’une réflexion politique et philosophique. C’est l’apparition du « roman à thèse », cherchant à édifier les lecteurs sur la conscience morale et le sens de la responsabilité citoyenne.

Dans cet extrait, André Gide décrit la naissance brusque d’une pensée agressive, son emprise et le jeu qu’elle semble offrir, jusqu’à l’acte lui-même. Le personnage est atteint d’une psychologie pré-pathologique bien connue de la psychiatrie moderne. Ce passage profondément gidien met en scène l’acte sans but, sans raison ni profit, d’un personnage en quête d’une étrange et dangereuse affirmation de sa liberté. 

    Deux années s’écoulèrent, pendant lesquelles ils s’enfoncèrent de plus en plus. Les hivers surtout les nettoyaient. S’ils mangeaient du pain au beau temps, les fringales arrivaient avec la pluie et le froid, les danses devant le buffet, les dîners par cœur, dans la petite Sibérie de leur cambuse. Ce gredin de décembre entrait chez eux pardessous la porte, et il apportait tous les maux, le chômage des ateliers, les fainéantises engourdies des gelées, la misère noire des temps humides. Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c’était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n’y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescot arrivait, le samedi suivant, couvert d’un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d’expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C’était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d’ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long des escaliers et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n’aurait pas produit un air d’orgues aussi abominable. Un vrai jour de jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l’écrasement du pauvre monde.

André Gide, Les Caves du Vatican, V, 1 1914

Le roman et le renouveau des Trente-Glorieuses

À la suite de la seconde guerre mondiale, la France connaît plusieurs événements qui soulignent la complexité de la période post-45. Ces événements sont pluriels. D’abord, la IVe République est proclamée en 1946. Elle prévoit à l’origine une plus forte représentativité et un très fort parlementarisme. Ce sont ses atouts qui créeront paradoxalement son instabilité, rendant la gouvernance de la France impossible. Mais, dès 1950, la France connaît également un “Boom” (baby-boom, explosion de la natalité, relance de l’attractivité, plein emploi, économie au plus haut). C’est le début des Trente-Glorieuses. Dans le même temps, dès 1946, les tensions montent dans les colonies françaises. Deux guerres d’indépendance noircissent le tableau : d’abord, en Indochine en 1946, puis aussitôt après, la guerre d’Algérie en 1954. Ces instabilités conduisent le Général de Gaulle, l’une des figures de la Résistance française durant la dernière guerre mondiale, à réformer la constitution et à fonder la Ve République dès 1954. Il est le premier Président de la Ve République et accorde l’indépendance à l’Algérie.

C’est dans ce contexte que le genre du roman amorce sa remise en question. On peut résumer cette réforme romanesque par la périphrase de “l’ère du soupçon”, terminologie empruntée au livre du même nom de Nathalie Sarraute. Après la crise du sujet qui fut le thème principal de la production littéraire durant l’entre-deux-guerres, c’est le récit lui-même et les règles romanesques qui vont être sujets à réinvention. De là émergent les “Nouveaux Romanciers” : entre autres, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute, ou encore (plus tardivement), Marguerite Duras. Ils fonderont un nouveau mouvement littéraire, dès 1950, intitulé le “Nouveau Roman”. Ce mouvement vise à déconstruire tous les fondements du roman, et s’en servir comme d’un support pour y établir de nouveaux fondements de liberté d’invention.

Tante Berthe compte céder son appartement, trop grand pour elle, à son neveu Alain Guimiez. Elle se plaint à son frère Pierre de recevoir des pressions de la part de sa famille pour mettre ce projet à exécution, en particulier d’Alain qui la menace. Cet extrait décrit la scène vécue par Pierre, et illustre l’instabilité du moi et la difficulté de communication entre les consciences.

   « C’est grave… Alain a été odieux… »

   Il se rengorge tout a coup. Il a l’air de contempler quelque chose en lui-même qui lui donne ce petit sourire plein d’attendrissement, de contentement il se renverse en arrière… « Ah, sacré Alain va, qu’est-ce qu’il a encore fait ? »

   Elle sait, elle reconnaît aussitôt ce qu’il regarde en lui-même avec ce sourire fat, le film qu’il est en train de projeter pour lui tout seul sur son écran intérieur. Elle l’a vu souvent, autrefois, prenant l’enfant sur ses genoux ou serrant sa petite main tandis qu’ils le promenaient ensemble le dimanche, lui montrer ces images qu’il contemple en ce moment lui devenu tout vieux, tout chétif et pauvre, debout dans la foule, là, au bord de cette chaussée, serrant contre lui, car il fait froid, son pardessus râpe, et attendant pour voir le beau cavalier (elle sentait à ce moment quelle volupté il éprouvait à voir dans les yeux de l’enfant, sous les larmes de tendresse, de déchirante tristesse, briller des éclairs d’orgueil), le conquérant intrépide, dur et fort, traînant tous les cœurs après soi, qui passe sur son cheval alezan sans le reconnaître, il revient d’une croisade, de longues campagnes victorieuses, il croit avoir perdu, il a peut-être oublié son vieux papa, mais le pauvre cœur paternel est inondé de joie, de fierté. Voyez-le. Ah, c’est un gars, ça, au moins, ce n’est pas une poule mouillée. C’est un rude gaillard, hein, mon fils ?

   Pauvre bougre. Il lui fait de la peine. C’est en s’amusant à prendre ce genre d’attitudes-là, déjà avec leur père autrefois, qu’il a fait de lui-même ce qu’il est un pauvre homme qui s’est rétréci, qui s’est diminué, qui n’a pas exploité à fond ses possibilités… Elle sent ses forces lui revenir, un salutaire besoin de le secouer en voilà des attitudes malsaines de faiblesse, d’abandon… il est ridicule… qu’est-ce que c’est que ces conduites de gâteux… un peu de tenue, voyons, un peu de respect de soi, d’autorité… qu’il se souvienne donc un peu de son rôle d’éducateur, de juge… le petit s’est conduit comme un voyou, il a probablement besoin d’être redressé, il n’y a vraiment pas de quoi se vanter… c’est un petit vaurien… « Il est venu me menacer. Il veut me dénoncer au propriétaire. Il va me faire expulser. Mais enfin, est-ce que tu te rends compte ?… »

   Son visage devient grave, il a l’air de revenir à lui enfin, il se cale dans son fauteuil, pose ses coudes sur les accoudoirs, joint le bout des doigts de ses deux mains grandes ouvertes, paumes écartées — un geste qu’il fait quand il réfléchit. Il tourne vers elle un regard ferme « Qu’est-ce que tu racontes ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mais c’est une plaisanterie, voyons. Ça ne tient pas debout… Alain te dénoncer… Alain te faire expulser… Tu connais Alain mieux que moi. Tu sais bien que c’est le garçon le plus franc, le plus délicat… Elle tend son visage vers lui… encore… c’est trop délicieux… Il est très affectueux, tu le sais bien… Et toi, il t’aime beaucoup. C’est sûr, tout le monde le sait, il t’est très attaché… »

   Elle n’en demandait pas tant, c’est trop… la vie revient, une vie plus intense, purifiée, une vie riche en biens précieux, en inestimables trésors2 … les liens du sang, l’amour lentement fortifié par tant de sacrifices, d’abnégation… comment a-t-elle pu s’aveugler au point de ne plus voir — mais elle l’avait entrevu, senti confusément quelque part en elle-même, tout à fait en dessous, et cela dans les moments les plus terribles — que les scènes de ce genre entre eux révélaient, justement, la force indestructible de leurs sentiments, un trop-plein de richesses qu’ils s’amusaient à gaspiller… l’excès même de sécurité leur donnait ce besoin de s’exciter de temps en temps par ces joutes brutales, ces jeux cruels…

 

 

Les principales caractéristiques du Nouveau Roman :
  • Renouvellement des techniques romanesques
  • Réfutation de la linéarité du récit
  • Perte du narrateur omniscient
  • Rejet de la vraisemblance
  • Absence de cohérence (récit, narration, psychologie des personnages…)

Allant de paire avec la révolution de 1968, le Nouveau Roman veut faire “table rase” du passé et sortir de certains dogmes qui enfermeraient la liberté créatrice en littérature. Cette conception s’estompera à partir des années 1980, où le roman essaie de se reconstruire. Du fait de la proximité dans le temps avec les productions romanesques des années 1980 à nos jours, le recul est encore insuffisant pour en dégager des mouvements précis. Deux grandes écoles se révèlent néanmoins :

  • Les héritiers du Nouveau Roman : comme Patrick Modiano, Jean Echenoz, Michel Houellebecq ou Pascal Quignard. Ces derniers produisent des romans encore largement inspirés des préceptes du Nouveau Roman : intrigue simple voire simpliste, personnages souvent sans but, avec un récit volontairement abscons.

  • Les “Constructivistes” : terme utilisé par la théoricienne Therese Fowler pour parler des écrivains qui essaient de rebâtir le roman à partir de l’héritage du XIXe siècle, tout en le modernisant. Ils renouent avec le plaisir de raconter et de créer des personnages avec une forte caractérisation. Parmi ces romanciers, nous trouvons notamment Philippe Claudel,  Sylvain Tesson, ou encore Maylis de Kerangal. Certains anciens héritiers du Nouveau Roman sont devenus davantage Constructivistes, comme Jean-Marie Gustave Le Clézio.
LE XXe siècle Pour synthétiser

Le contexte des 2 guerres mondiales a généré une remise en question du genre romanesque et de ses thèmes

Le rapport au réalisme dans le récit s’effrite progressivement : de la vraisemblance des événements, on passe au réalisme de l’individu, pour enfin bannir toute forme de réalisme dans le Nouveau Roman

Le délitement du personnage : fin du personnage héroïque, apparition du personnage sans caractérisation

Dès 1950, apparition de “l’ère du soupçon” : le roman amorce sa remise en question et s’affranchit de tout code, de tout encadrement et de toute règle. Les Nouveaux Romanciers publient des œuvres sans récit, sans linéarité, et parfois sans personnage.

À partir de 1980, le roman essaie de se reconstruire en modernisant les principes romanesques du XIXe siècle. Deux grandes écoles jusqu’à nos jours : les héritiers du Nouveau Roman et les “Constructivistes”.

Le XXe siècle pour synthétiser

Le contexte des 2 guerres mondiales a généré une remise en question du genre romanesque et de ses thèmes

Le rapport au réalisme dans le récit s’effrite progressivement : de la vraisemblance des événements, on passe au réalisme de l’individu, pour enfin bannir toute forme de réalisme dans le Nouveau Roman

Le délitement du personnage : fin du personnage héroïque, apparition du personnage sans caractérisation

Dès 1950, apparition de “l’ère du soupçon” : le roman amorce sa remise en question et s’affranchit de tout code, de tout encadrement et de toute règle. Les Nouveaux Romanciers publient des œuvres sans récit, sans linéarité, et parfois sans personnage.

À partir de 1980, le roman essaie de se reconstruire en modernisant les principes romanesques du XIXe siècle. Deux grandes écoles jusqu’à nos jours : les héritiers du Nouveau Roman et les “Constructivistes”.