Ebauche de problématique

Ebauche de problématique

8 juillet 2021 Non Par Cyril Lélian Daudé

Le constat

            Depuis les années 1980, les recherches sur l’autofiction portent davantage sur la fictionnalisation des événements rapportés ou sur les personnages, occultant plus ou moins la question de la fictionnalisation du narrateur lui-même. Pourtant essentielles à la constitution du récit autofictionnel, les voix qui sont la manifestation même du ou des narrateurs sont souvent mal envisagées par les chercheurs (souvent limité au champ grammatical, sémiotique et aux analyses stylistiques), au risque de n’offrir que des explications partielles sur l’autofiction. Cela implique également des approches structurelles axées sur le récit intradiégétique, et bifurquent vers la recherche historique (où la recherche va tenter d’affirmer ou d’infirmer la véracité d’un événement narré dans un récit d’autofiction), sans tenter de comprendre la finalité d’un tel processus. Ces approches sont, la plupart du temps, impropres à rendre compte de l’extrême richesse et de l’immuable modernité de ces textes. Ce travail se proposera donc de combler en partie ces lacunes en proposant une autre approche, qui se veut transversale et inductive, généralement oubliée par les recherches sur l’autofiction : l’acroamatique.

         

Le problème soulevé

       Nous avons en effet ici trois auteurs, deux appartenant au XXe siècle et une au XXIe siècle, qui ont pratiqué, chacun à leur manière, l’exercice d’autofiction. Le succès de publication, malgré leur volonté de s’extraire de la modernité et de s’exprimer à contre-courant de la doxa, fut retentissant. Comment donc comprendre ce qui apparaît comme un paradoxe ? En dépit de leurs différences notables, ces trois écrivains et poètes partagent leur besoin d’explorer le champ auditif. Ce besoin est intrinsèquement lié à leur volonté d’instantanéité narrative se rapprochant du « Verbe »[1] (sous diverses acceptions : le Logos[2] chrétien ou la Huà[3] chinoise).

Notre approche visera donc à comprendre quel lien on peut établir entre les différents processus auditifs dans les trois œuvres (musicalité, acousmatique, syntaxe verbale, etc.) et l’immanence auctoriale de ces textes.

[1] Le « Verbe » peut être rapproché en littérature à la parole performative, c’est-à-dire à la capacité de générer et d’engendrer par la simple parole. En religion, par exemple chez les Chrétiens, elle se matérialise dans la célèbre phrase de la Bible : « Que la Lumière soit, et la Lumière fut ».

[2] Le Logos, d’un point de vue purement christologique, est l’idée que le Christ s’incarne dans la parole en étant détaché de toute enveloppe matérielle. Dans la perspective littéraire, certains écrivains et poètes inspirés par le Logos ont cherché à trouver un statut divinatoire en s’arrogeant par exemple au temps et à la mort : (Esaïe, 40:8, « L’herbe sèche, la fleur tombe, Mais la parole de notre Dieu subsiste éternellement. »)

[3] La Huà chinoise (pinyin de 话), signifiant littéralement « Parole », dans la mythologie chinoise, est la parole divine permettant d’unir les monts et les mers et de façonner la Terre. C’est par extension la possibilité de créer la vie et l’existence. Elle se rapproche ainsi du Logos chrétien. La Huà a une influence sur la littérature et la culture chinoise, la poésie chantée devenant le mode d’expression privilégié pour tenter d’atteindre cette forme de divin.